Philibert vous propose de découvrir les métiers qui peuplent le monde du jeu de société. À travers des portraits humains, nous en apprendrons plus sur certains rouages de la sphère ludique. Dans ce sixième épisode, nous avons échangé avec Josselin Grange, fraîchement récompensé par un titre de "Meilleur Ouvrier de France", qui nous présente son travail de graphiste.
Philibert : Salut Josselin, peux-tu te présenter ?
Josselin : Josselin Grange, 43 ans, graphiste/illustrateur à mon compte, marié et papa de deux ados. J’habite à Valence, dans la Drôme. J’ai grandi dans un village de Drôme provençale, entouré d’artistes et d’artisans amoureux de leurs métiers, qui m’ont transmis leur passion pour l’art. Ce milieu artistique m'a porté, et très jeune, j'ai commencé à dessiner, mais aussi à concevoir des univers et des graphismes liés.
Philibert : Peux-tu nous parler de ta formation et de ton parcours ?
Josselin : Enfant et adolescent, j’ai gagné des concours de graphisme et de dessin. Après un BEP Infographiste et un Bac Pro Communication Graphique, j’ai travaillé 18 ans dans la même agence de communication à Valence. Puis, à la suite de sa fermeture, j’ai créé mon studio graphique tout en m’inscrivant à la 27e session des MOF en 2019. Depuis 2019, je suis à la tête d’une société de graphisme, conseil et communication. Mon parcours s’est nourri de rencontres créatives, d’initiatives et de diversités. Fort d’une expérience de plus de 20 ans en édition et en agence de communication (institutionnelle, marketing et territoire de marque) en tant qu'illustrateur et graphiste, je me suis formé à l’illustration 3D et aux arts numériques. J'ai fait évoluer mes méthodes de travail avec les nouvelles technologies dans ce milieu. Polyvalent, exigeant et rapide, mais à l’écoute et toujours prêt à transmettre, voilà comment je définis la passion pour mon travail.
Philibert : Tu viens de remporter le titre de « Meilleur Ouvrier de France » dans la catégorie Graphisme. Peux-tu nous parler de ce titre ?
Josselin : Le titre « Meilleur Ouvrier de France » dit MOF, est décerné uniquement en France par catégorie de métiers dans un concours entre professionnels. Ce concours (ou plutôt un examen, sans limites de lauréats) est organisé tous les trois ou quatre ans et reconnu en tant que titre certifié de niveau 5 (bac+2) par les ministères de l’Éducation et du Travail. C’est une épreuve spécifique de l'approche de la perfection, pour réaliser ce qu’ils appellent un « chef-d'œuvre ». La méthode choisie, l'organisation, le geste, la rapidité, le savoir-faire et le respect des règles du métier sont contrôlés par le jury autant que le résultat. Le candidat ainsi récompensé conserve son titre à vie avec l'indication de la spécialité suivie de l'année de sa promotion (l'année d'obtention). Un MOF est reconnaissable, car il est le seul à porter un col bleu blanc rouge. Ce titre de prestige est autant reconnu par les professionnels que par le grand public. Il existe plus de 140 métiers sur la session de 2023. Dans mon secteur, celui de la communication, on trouve des photographes, des graphistes, des imprimeurs, des sérigraphes, des calligraphes, des enlumineurs, les métiers du web, etc.
Philibert : Comment ça s’est fait ? Quelles étaient tes motivations ?
Josselin : J’aime me challenger et relever des défis ! À plusieurs occasions, professionnelles ou personnelles, j’ai pu rencontrer des Meilleurs Ouvriers de France. En eux, j’ai vu l’excellence, la rigueur, le partage. C’est donc tout naturellement que je me suis lancé dans l’aventure «Un des Meilleurs Ouvriers de France » en classe Graphisme, pour valider mon engagement de toujours dans mon métier. J’ai découvert que le concours était ouvert aux graphistes il y a quatre ans et je me suis inscrit directement. Les sessions entre chaque titre durent environ quatre ans, c'était donc ma première participation.
Philibert : Comment s’est déroulé le concours ?
Josselin : On appelle cela un concours, mais c’est en fait une épreuve notée. Pour simplifier, il s'agit d'une note sur 20 et il faut avoir un minimum de 18 avec des appréciations. Le concours aura duré quatre ans. Après l’inscription en 2019, une épreuve qualificative a eu lieu à Versailles en juin 2022 qui a donné suite à l’épreuve finale à Lille en avril 2023. L’épreuve qualificative était de faire un dossier à présenter à l’oral, présentant son parcours et un projet professionnel à décrire. On avait trois semaines pour monter le dossier avant l’épreuve, une heure d’oral pour un dossier de plus de 100 pages. Pour l’épreuve finale, on a reçu le sujet trois mois avant la date de la finale. Il fallait faire toute la communication d'un musée : créer un logo, une charte graphique, un livret de programme, une brochure de présentation, des t-shirts, etc. On avait donc trois mois pour réfléchir, créer et faire fabriquer toute la communication autour du musée. Un mois après, j’ai appris que j’avais réussi l’épreuve. Et en juin 2023, j’ai reçu mon titre, la médaille de « Un des Meilleurs Ouvriers de France » à la Sorbonne et le fameux col bleu blanc rouge.
Philibert : Peux-tu nous parler de ta réalisation primée au concours ?
Josselin : Le chef-d'œuvre consistait à réaliser la charte graphique et la communication d'un musée d'art contemporain. Ce musée existe vraiment, mais la demande était fictive. La première étape a été de se renseigner, de récupérer toutes les informations que je pouvais. Il a fallu ensuite concevoir un logo, faire une charte graphique d'environ 50 pages, un dossier technique également de 50 pages et concevoir le programme de l'année avec les différents événements du musée, ainsi qu'une plaquette de communication. Nous avions trois mois pour réaliser ce travail, j'ai volontairement mis moins de temps à le faire afin de pouvoir fabriquer les différents outils. Je souhaitais que la fabrication comporte des techniques d'impression très spécifiques qu’un seul imprimeur en Europe était capable de faire.
Philibert : Ton titre est tout frais, est-ce que tu en ressens déjà les retombées ?
Josselin : Cela fait effectivement peu de temps que je suis titré, mais je commence effectivement à avoir quelques retombées. Quelques clients commencent à me contacter spécifiquement pour ce titre.
Philibert : Qu’est-ce que ce titre va changer dans l’exercice de ton travail ?
Josselin : Ce titre me donne une certaine légitimité. L'une des prérogatives des Meilleurs Ouvriers de France est la transmission auprès des jeunes. C'est pour cela que je commence à m'engager autour d'événements comme les Meilleurs Apprentis de France, qui permettent à des étudiants de montrer leur excellence et leur maîtrise dans différents métiers.
Philibert : Comment es-tu arrivé dans le milieu ludique ?
Josselin : J'ai commencé à faire du jeu de rôle et du Grandeur Nature à l'adolescence. J'ai tout naturellement continué à jouer jusqu'à maintenant. Entre-temps, j'ai créé des jeux, des livres et j’ai commencé à m'intéresser à l'édition. Je suis également l'un des associés de la Diagonale du Fou (un magasin de jeux), j'ai donc toujours été proche du milieu ludique.
Philibert : Le graphisme regroupe de multiples compétences. Lesquelles sont les plus demandées dans le monde du jeu ?
Josselin : Les éditeurs viennent me chercher pour diverses raisons : pour faire de la mise en page, de la cartographie, de l'illustration, du packaging, des visuels de produits en 3D et parfois même pour de la rédaction. Mon studio s'est spécialisé dans la réalisation de livres de jeux, mais nous sommes capables de produire tout type d'objet de communication et de marketing. Ce que l'on me demande le plus est généralement du graphisme et de la mise en page. On me demande également et régulièrement de faire des illustrations qui soient adaptées à une charte graphique déjà en vigueur.
Philibert : Est-ce que le métier de graphiste s’exerce différemment dans le monde du jeu ?
Josselin : Il y a effectivement des spécificités techniques propres à l'édition dans le monde du jeu. Mais globalement, ces différences sont vraies pour tous les types de corps de métier. Quand on travaille pour la grande distribution, il y a des codes, ce ne sont pas les mêmes pour le monde du luxe et ils sont encore différents dans le monde du jeu. C'est juste un apprentissage à avoir.
Philibert : Pour un graphiste, est-il possible de travailler exclusivement dans le jeu ?
Josselin : J'ai monté mon studio il y a quatre ans et je travaille à plus de 90% dans le monde du jeu, j'ai un salarié, des stagiaires et parfois, j'embauche des free-lance. Il est compliqué, mais faisable de travailler exclusivement dans le monde du jeu.
Philibert : Quelles sont les possibilités contractuelles pour travailler dans le monde du jeu en tant que graphiste ?
Josselin : Tous les formats contractuels sont possibles, vous pouvez être salarié pour une entreprise, être free-lance ou comme moi avoir monté un studio. J'ai créé une SASU ce qui me permet d'embaucher si le besoin se fait sentir. Et à titre personnel, je suis assimilé-cadre salarié de mon entreprise.
Philibert : Côté rémunération, peux-tu nous en dire plus sur la manière dont est payé un graphiste dans le milieu ludique ?
Josselin : Cela va dépendre du statut. De mon côté, je fais des factures en fonction des travaux que j'effectue. Je ne suis pas un artiste au sens légal du terme, mais bien une entreprise de service comme le pourrait être une agence de communication. Légalement, je suis considéré comme un artisan.
Philibert : Qu’est-ce qui t’intéresse le plus dans ton métier ?
Josselin : Ce que j'apprécie avec le travail dans le monde de l'édition, c'est que les projets sont divers et variés et me permettent de travailler sur des univers graphiques vraiment différents.
Philibert : As-tu un conseil pour les aspirants graphistes dans le monde ludique ?
Josselin : Il y a différents types de métiers dans le graphisme et donc différents types de graphistes. Du coup cette question est difficile, mais le plus important et de se former, de rester à l'écoute des nouvelles technologies, des nouvelles normes. Pour tous les graphistes qui sont en bout de chaîne et qui passent leurs documents aux imprimeurs, une bonne connaissance de la chaîne graphique et des process d'impression est primordiale.
Philibert : As-tu une anecdote ou un souvenir marquant à nous raconter depuis que tu exerces ?
Josselin : Ne pas, au grand jamais, imprimer de livres ou de jeux en Chine qui parlent de la Chine. Si vous faites ça, vous aurez à coup sûr un comité de censure qui vous demandera de traduire l'intégralité de votre ouvrage pour vérifier ce que vous dites dans ce jeu/livre.
Pour en savoir plus sur Josselin Grange et son travail, rendez-vous sur son site !