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Les métiers ludiques : Christine Alcouffe nous parle de son travail d'illustratrice

Les métiers ludiques : Christine Alcouffe nous parle de son travail d'illustratrice
Le Philiboy Sébastien
Sébastien
Mis à jour le  10/10/2023
#article

Philibert vous propose de découvrir les métiers qui peuplent le monde du jeu de société. À travers des portraits humains, nous en apprendrons plus sur des fonctions parfois méconnues, mais faisant partie intégrante des rouages de la sphère ludique. Dans ce quatrième épisode, nous avons échangé avec Christine Alcouffe qui nous parle de son travail d'illustratrice.


Philibert : Salut Christine, peux-tu te présenter ?


Christine : Salut ! Je suis illustratrice depuis 2010 et j'ai commencé à illustrer des jeux de société en 2017, avec Paper Tales de Masato Uesugi. Depuis, j'ai fait pas mal de jeux de plateau, surtout pour des éditeurs français et j'ai créé deux jeux en tant que co-autrice avec Ludovic Maublanc ! (cf. Les Contes Émerveillés et Les Toits de Paris)



Philibert : Peux-tu nous parler de ta formation et de ton parcours ?


Christine : J'ai étudié à l'école Émile Cohl, à Lyon, qui est spécialisée dans l'enseignement du dessin, de l'illustration, de la bande dessinée, etc. À l'origine, j'avais l'intention de m'orienter plutôt sur du graphisme, mais j'ai rapidement réalisé que le geste du dessin en lui-même allait me manquer et j'ai préféré le remettre au centre de mon apprentissage. Après mes études, j'ai commencé à travailler pour du jeu vidéo 2D et des livres-activité jeunesse, avant d'avoir ma première opportunité grâce à Catch Up games.



Philibert : Comment es-tu arrivée dans le milieu ludique ?


Christine : J'y suis arrivée en parallèle de mon début d'activité. En sortant de mes études, j'ai cherché de nouvelles façons de rencontrer des gens, sachant que je travaillais à la maison et que je ne voyais personne toute la journée. J'ai poussé la porte du café ludique Moi j'm'en fous je triche, à Lyon, et comme je m'y suis plu, je suis devenue bénévole. J'ai commencé à découvrir le milieu du jeu de société d'auteur, qui m'était assez inconnu avant ça. De festivals de jeux en rencontres, j'ai pu commencer à lier mon activité d'illustratrice et ma passion pour les jeux, simplement grâce au bouche-à-oreille. Aujourd'hui, je joue probablement moins qu'à l'époque, les soirées étant moins nombreuses, mais c'est mon loisir principal et le milieu dans lequel évoluent la plupart de mes amis.


L'illustratrice française Christine Alcouffe

Philibert : Quelles sont les différentes missions qui peuvent incomber à une illustratrice/illustrateur dans le cadre d’un projet de jeu ?


Christine : Si on parle purement d'illustration, mon travail consiste à créer les images, comme les personnages, objets ou paysages qui créeront l'univers visuel. Il arrive régulièrement que je m'occupe d'une partie du graphisme également, comme les icônes sur les cartes et les plateaux, la création du titre du jeu sur la boîte… Le milieu du jeu de société est plutôt petit, et la plupart du temps ce sont les illustrateurs qui s'occupent de la direction artistique des jeux, avec la validation des chefs de projet. En fonction des besoins et des projets, il arrive que les illustrateurices soient amenés à produire d'autres types de contenu, mais pour ma part, j'opère surtout sur ces aspects-là.



Philibert : Est-ce que le métier d’illustratrice/illustrateur s’exerce différemment dans le jeu de société ?


Christine : En réalité pas tellement ! Quel que soit l'objet pour lequel on travaille, en tant qu'illustrateur, il y a besoin de s'adapter à son contexte : quels sont les publics visés, les codes, les tendances, y a-t-il des techniques particulières à mettre en place ? Par exemple, si je travaille sur une publicité pour le métro, le temps d'attention est très limité, il faut que ma composition et mon illustration soient immédiatement compréhensibles. Si je crée des emballages de chocolat, il faut que l'étiquette réalisée pour la marque premier prix soit interprétée comme accessible par le consommateur rapidement, et n'ait pas trop de marqueurs « luxe », sinon il aura l'impression que le produit n'est pas adapté à sa recherche. Dans le milieu du jeu de société, c'est un peu pareil, on joue avec les codes pour créer et proposer des choses en permettant une lisibilité exemplaire et en facilitant les mécaniques. On essaie de viser certains publics (enfants, famille, experts,...) tout en apportant de la création, notre goût et notre style personnel.



Philibert : Quand tu illustres un jeu, est-ce que tu t’intéresses à sa mécanique ? Et est-ce qu’une grosse culture ludique est nécessaire ? 


Christine : Ce n'est probablement pas indispensable, mais c'est une aide précieuse. Quand on est un peu joueur, en particulier quand on a la possibilité d'essayer un prototype avant de commencer les illustrations, on peut se projeter directement sur les enjeux de lisibilité qui seront présents dans le projet. La connaissance des jeux, de leur fonctionnement et du milieu, me permet de prendre en compte dès le départ l'ergonomie, les choix de couleurs qui aideront la lisibilité et éviteront les confusions entre plusieurs éléments du jeu, plus globalement l'affordance, c'est-à-dire mettre en place ce qui aidera le joueur à comprendre d'instinct comment se joue le jeu, plutôt que quelque chose de contre-intuitif pour lui.



Philibert : Quand tu travailles sur un projet, qui sont tes interlocuteurs ? 


Christine : C'est le chef de projet de l'éditeur qui me contacte, qui me présente le projet et avec qui je négocie les termes du contrat. Il arrive que j'ai la possibilité de dialoguer avec le ou les auteurs également, en particulier avec les petits éditeurs, mais le travail ensuite se passe avec le chef de projet, qui s'occupe de tenir l'auteur au courant de l'avancée du projet et de prendre en compte son avis. C'est la méthode la plus simple pour moi, parce qu'elle me permet d'avoir des retours sur les illustrations qui ont déjà été réfléchis et concertés avant qu'ils me parviennent, et ça me permet d'aller droit au but.


Le jeu de société Les Toits de Paris

Philibert : Pour une illustratrice/illustrateur, quelles sont les possibilités contractuelles pour travailler dans le monde du jeu ?


Christine : À ma connaissance, on est quasiment exclusivement sur des contrats ponctuels en freelance. Je connais quelques personnes qui travaillent directement pour des éditeurs de jeu en tant qu'illustrateurs, mais c'est vraiment rare.



Philibert : Peux-tu nous en dire plus sur la manière dont est payée une illustratrice/illustrateur dans le milieu ludique ?


Christine : En général, je suis payée avec des droits d'auteur et une avance sur droits. Pour expliciter un peu, l'éditeur me paye une somme qui correspond au temps que je passe à réaliser les illustrations de son jeu, et une fois que les ventes commenceront, l'éditeur remboursera cette avance par un petit pourcentage du chiffre d'affaires. Une fois la somme initiale amortie, je commencerai à toucher le pourcentage des ventes qui avait été négocié, en général une ou deux fois par an et en fonction des ventes réalisées sur la période. Certains éditeurs préfèrent proposer un bonus par palier de ventes ou fonctionnent strictement au forfait, mais ce sont des choses qu'on essaie de négocier pour que tout le monde soit payé de manière équitable.



Philibert : Qu’est-ce qui t’intéresse le plus dans ton métier ?


Christine : Clairement, c'est la diversité des projets que je peux faire ! Je peux travailler pour des marques de meubles, des musées, des jeux, des livres, tout dépend de qui me contacte. Et au sein de chaque domaine (à tout hasard les jeux de société), les missions ne se ressemblent pas, je peux explorer des thématiques ou des époques différentes. Ça apporte un renouvellement constant qui permet de ne pas s'ennuyer.



Philibert : As-tu un conseil pour les aspirants illustrateurs dans le monde ludique ?


Christine : Ce qui a marché pour moi, ça a été de rencontrer les gens du milieu, et notamment les éditeurs, d'avoir une bonne connaissance du marché des jeux de société, du travail des auteurs et un vrai intérêt pour les jeux. Si on est un peu moins joueur, je conseillerais aux gens de proposer son book par mail et de ne pas se brider dans leur envoi. Contrairement à d'autres milieux, les éditeurs de jeux aiment voir des illustrations variées, potentiellement plusieurs styles dans lesquels ils pourront se projeter.



Philibert : As-tu une anecdote ou un souvenir marquant à nous raconter depuis que tu exerces dans le jeu de société ?


Christine : Il y en a eu beaucoup, mais je vais citer la rencontre que j'ai eue il y a quelques années avec Vincent Dutrait à Essen. Il avait été prof à Émile Cohl pendant mes études et c'était la première fois que je le revoyais, en tant que jeune professionnelle. Ça a été très émouvant pour moi de le redécouvrir, au sommet de son art dans les illustrations de jeux et néanmoins hyper accessible. Les échanges qu'on a pu avoir depuis sont toujours passionnants !


Quelques jeux illustrés par Christine Alcouffe

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