Philibert vous propose de découvrir les métiers qui peuplent le monde du jeu de société. À travers des portraits humains, nous en apprendrons plus sur des fonctions parfois méconnues, mais faisant partie intégrante des rouages de la sphère ludique. Dans ce premier épisode, nous avons échangé avec Adrien Fenouillet qui nous présente son travail de chef de projet chez IELLO.
Philibert : Salut Adrien, peux-tu te présenter ?
Adrien : Je m’appelle Adrien Fenouillet, je suis Chef de Projet chez IELLO depuis un peu plus de quatre ans maintenant. Cela fait presque 10 ans que je suis dans le métier du jeu de société et j’ai accompagné l’édition d’une trentaine de jeux.
Philibert : Comment es-tu arrivé à ce poste ? Peux-tu nous raconter ton parcours ?
Adrien : Après mes études en art et en conception de jeux vidéo, j’ai fait un stage de six mois en tant que chef de projet et graphiste chez Bioviva. J’y suis resté quatre ans par la suite et j’ai énormément appris sur le métier et le monde ludique. À l’époque, Bioviva était une structure un peu plus modeste, donc j’ai pu découvrir et m’essayer à différents postes : chef de projet, graphiste, auteur, démonstrateur, SAV, etc. C’était très enrichissant. Et puis ma curiosité m’a donné envie de voir une autre manière de concevoir et de fabriquer des jeux (NDLR : Bioviva développe et distribue des jeux éco-conçus et made in France). J’ai toujours été fan de la gamme Mini Games Chez IELLO. Je trouvais le travail d’édition formidable et dès que l’occasion s’est présentée, j'ai postulé chez eux. Il m’a fallu un deuxième essai et attendre un an pour avoir enfin une réponse positive !
Philibert : En quoi consiste ton travail ?
Adrien : Le travail d’un chef de projet consiste principalement à accompagner les auteurs dans la réalisation de leur jeu. Quand j’explique mon métier, j’utilise souvent l’analogie du chef d’orchestre. On est au milieu de nombreux intervenants (auteurs, illustrateurs, fabricants, graphistes, commerciaux, scénaristes, musiciens, etc.) que l’on doit coordonner. On est une passerelle entre tous ces gens. C’est donc un poste indispensable, car tout le monde doit aller dans la même direction.
Philibert : Peux-tu nous décrire une journée type d’un chef de projet ?
Adrien : Généralement, la journée d’un chef de projet est découpée de plusieurs activités. Quand j’arrive à mon bureau, je regarde les nouvelles du monde ludique et je réponds aux mails urgents. Le reste de la journée peut être rythmé de différentes manières : tester les jeux en développement ou à l’étude, remplir des tableurs et équilibrer un jeu, rédiger des règles claires afin qu’elles soient comprises par le plus grand nombre, confectionner un prototype avec du papier et du carton pour voir à quoi va ressembler le jeu, échanger en ligne avec les auteurs ou illustrateurs pour les prochaines étapes ou contrôler les fichiers envoyés à l’usine par exemple. Il est rare que les journées se ressemblent, tout dépend de l’étape d’un projet.
Philibert : Quelles sont les différentes étapes d’édition d’un jeu ? À quel moment arrives-tu sur un projet ?
Adrien : Tous les projets démarrent avec un auteur et son projet, qu’on a testé et décidé d’éditer. Il s’ensuit alors différentes étapes qui se suivent ou se chevauchent. On étudie en premier lieu la faisabilité du projet (le matériel, le type de boîte, le prix, etc.). On fait un premier ajustement des règles si besoin, puis on va chercher un illustrateur en fonction de la direction artistique que l’on veut prendre. Soit la thématique est directement issue du prototype de l’auteur, soit on adapte en fonction du public que l’on souhaite séduire. On teste le jeu à chaque nouvelle étape et une fois qu’on a une maquette quasi définitive, on traduit le jeu en différentes langues. Une fois les fichiers terminés, on les envoie en production à l'usine. Avant de tout imprimer pour de bon, on reçoit un prototype qui ressemble au produit final et si tout va bien : hop !
Philibert : Dans notre interview avec Rémi Mathieu, l'auteur expliquait que le monde ludique se concentrait uniquement sur l’auteur et l’éditeur. Le chef de projet étant cantonné à un rôle de l’ombre. Que penses-tu de cette situation ?
Adrien : C’est assez juste. On félicite souvent l’auteur et l’illustrateur derrière un projet, et à juste titre. Le chef de projet étant un liant, son travail est parfois mis au second plan et est plus discret. Et ce n’est pas le seul. Il y a parfois beaucoup de monde derrière un projet.
Philibert : As-tu travaillé sur un projet qui t’a particulièrement marqué ?
Adrien : Je pense que tous les projets sur lesquels j’ai travaillé m’ont marqué, car ce sont essentiellement des histoires de rencontres, avec des gens formidables. Mais si je devais n'en citer qu’un, ce serait Ancient Knowledge. Sûrement parce que c’est un jeu qui arrive très bientôt et que j’ai encore bien en tête, mais aussi parce que ça a été un projet de longue haleine avec beaucoup de développements et de rebondissements. Travailler avec Rémi a été très stimulant et je peux dire qu’il est devenu un véritable ami. Je pense que les personnes qui posent leur regard sur les boîtes de jeux en magasin sont loin d’imaginer tout le travail que des gens ont pu fournir derrière. Il est rare de voir les coulisses ou un « making-of » d’un jeu. On fait parfois face à de véritables dilemmes et certaines décisions peuvent déplaire aux joueurs finalement.
Philibert : Qu’est-ce qui t’intéresse le plus dans ton métier ?
Adrien : Découvrir de nouvelles choses et faire de nouvelles rencontres à travers chaque projet. On fait parfois des recherches très spécifiques sur un sujet, que ce soit pour approfondir le thème du jeu ou comprendre ce que la mécanique essaie de nous apprendre. Je ne dis pas que je goûte à tous les fromages du monde quand je travaille sur Cheese Master par exemple (NDLR : Un jeu sur le thème du fromage et des souris) mais je connais un peu mieux certaines appellations (ah ah !).
Philibert : Quelle est ta plus grande réussite en tant que chef de projet ?
Adrien : Le Jeu du Potager (sorti en 2018) chez Bioviva. C’est un jeu qui revisite l’indémodable Jeu de l’Oie avec le thème de la culture des légumes. J’ai énormément appris avec ce projet en peu de temps puisque j’ai pu avoir différentes casquettes : auteur, chef de projet, graphiste… Le jeu est illustré par Myrtille Tournefeuille, une illustratrice jeunesse, qui est également ma sœur. Ce fut un vrai plaisir de travailler ensemble. C’est donc un jeu qui contient beaucoup de choses pour moi. Bien sûr, il n’est pas exempt de défaut, mais j’ai pu voir des enfants sur différents événements s’émerveiller et apprendre. Avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, je me dis que j’aurais pu faire mieux ou différemment. Mais cela me permet de voir et d’apprécier le chemin parcouru. Un jeu n’a pas besoin d’être excellent, il doit permettre de s’amuser et de créer des souvenirs mémorables.
Philibert : Quelles sont les qualités que doit avoir un chef de projet ?
Adrien : Il n’y a pas de recette miracle. Je pense qu’un chef de projet doit surtout être ouvert d’esprit. On doit composer avec de nombreuses personnes qui ont une attente parfois très forte de ce que sera le jeu une fois en magasin. Il faut donc être à l’écoute, sans dire oui à tout, et prendre les décisions qui semblent justes. On est parfois contraint par le temps, le matériel, le coût ou les envies, mais on espère toujours produire le meilleur jeu possible.
Philibert : As-tu un conseil pour les aspirants chefs de projet ?
Adrien : Il n’est pas nécessaire d’avoir une culture ludique immense pour être un bon chef de projet. Être curieux de ce qui nous entoure et connaître des sujets différents et variés est une grande force.