Du haut de ses 23 printemps, Les Loups-Garous de Thiercelieux s’apprêtent à vivre une seconde jeunesse en 2024. Adapté en jeu télé sur Canal+, puis en film sur Netflix, le jeu de société auto-édité en 2001, édité et distribué par Asmodee, nous prouve qu’il fait définitivement partie de la culture pop. Pour en savoir plus sur ces deux projets audiovisuels de grande ampleur, nous avons eu la chance d’échanger avec Étienne Bonnin, en charge des développements média et du licensing chez Asmodee. Voici l’interview.
Rendez-vous à partir du 11 octobre sur Canal+ pour le jeu télévisé et le 23 octobre pour la sortie du film sur Netflix !
Quand et comment est né le projet du film Loups-Garous ?
Etienne : Le projet est arrivé via les auteurs du jeu, Philippe des Pallières et Hervé Marly, qui ont été contactés par Radar Films, une société de production qui appartient au groupe Mediawan et qui fait des films français depuis des années. Pour donner un exemple, Radar Films a notamment produit les films de Nicolas Vanier (Belle et Sébastien, Champagne !, L'Ecole buissonnière). Clément Miserez, le producteur, a joué aux Loups-Garous de Thiercelieux et s’est dit qu’il y avait la possibilité de raconter une histoire, de faire un film avec des personnages issus du jeu. Il a donc contacté un scénariste, François Uzan, pour écrire une histoire. Il est notamment connu pour avoir créé Lupin et cocréé Family Business. À l’époque, il était en train de faire son premier film avec Radar Films, On sourit pour la photo, quand l’envie d’adapter les Loups-Garous de Thiercelieux est née.
Comment s’est fait le premier contact ?
Etienne : Ce sont des processus très longs. Ça fait plus de trois ans que je suis chez Asmodee, et pourtant à mon arrivée, ce premier échange avait déjà eu lieu. Alors, que fait un producteur qui souhaite adapter un jeu ? Eh bien, il regarde sur la boîte et contacte les auteurs et l’éditeur. Et c’est à ce moment que le processus de création d’un film à partir d’une œuvre existante s’enclenche.
La première étape a été de se rencontrer pour s’assurer qu’on avait bien tous la même vision. C’était important pour les auteurs du jeu et Asmodee d’avoir un film grand public qui ne soit pas gore. Si un producteur nous avait contactés avec l’envie de faire un film sanglant, nous n’aurions pas accepté, parce que ce n’est pas l’esprit des Loups-Garous. Mais là, dès le début, il y avait cette envie commune de la part de François Uzan et Clément Miserez de vouloir aller dans une direction qui nous semblait être la bonne : un film familial, ancré dans son temps tout en respectant l’ADN du jeu.
Peux-tu nous parler du travail d’écriture ? Comment on adapte Les Loups-Garous en film ?
Etienne : Une adaptation comme celle des Loups-Garous demande un gros travail d'écriture. On commence par écrire un traitement, qui est l’histoire non dialoguée en quelques pages. C’est comme si on racontait l’histoire dans une nouvelle qui fait 10 ou 20 pages. Une fois qu’on est d’accord là-dessus, on peut avancer à la prochaine étape qui le scénario. Un scénario est une matière vivante qui se travaille et se retravaille pendant des années pour arriver à une histoire qui fonctionne bien et qui corresponde au message que le scénariste souhaite raconter, tout en restant fidèle au jeu. Et je pense qu’on a réussi à faire ça.
Aviez-vous un droit de regard sur l’histoire ?
Etienne : Alors, comment ça se passe concrètement ? On entretient des échanges réguliers pour constater l’avancement du projet et valider ou ajuster les choix qui sont faits. Mais en même temps, il faut tout de même laisser une grande liberté à l’auteur pour qu’il puisse raconter son histoire. Au moment de l’écriture du scénario, chez Asmodee, notre travail était, même si ça fait un peu gardien du temple, de vérifier que l’histoire respecte bien la propriété intellectuelle du jeu. Tant au niveau du ton que sur l’adaptation des personnages et leurs pouvoirs. Écrire un scénario relève forcément de l’adaptation. On ne pouvait pas simplement prendre une partie des Loups-Garous de Thiercelieux et en faire un film. Donc, il faut laisser cette liberté. François Uzan a eu une liberté d’écriture totale au départ. Puis, Asmodee et les auteurs du jeu s’assuraient que tout colle. Il est important de se mettre d’accord au début sur un ton et une histoire. Ensuite, c’est un accompagnement et des échanges réguliers.
Puis quand vient le tournage, on laisse les professionnels faire. Chacun son métier et clairement, les producteurs sont bien meilleurs que nous pour savoir comment faire un film. Et un film, c'est beaucoup de contraintes techniques. Il y a des contraintes de temps, de budget et tout n’est pas possible. Par exemple, on aimerait avoir des effets spéciaux sur tous les plans, mais c’est impossible. Alors, on nous l’explique et on comprend, bien évidemment.
Ce qui a été très sympa, c'est que les producteurs et le réalisateur, nous ont demandé plein de petits conseils pour coller le plus possible à l’univers du jeu. Par exemple, concernant le blason de la ville présent à l’écran, son design de départ a été fait par les auteurs du jeu. De même, les cartes que vous voyez dans le film ont été créées par Asmodee en partenariat avec le réalisateur.
Côté Asmodee, qui a été impliqué dans le projet ?
Etienne : Chez Asmodee, ont été impliquées toutes les personnes qui sont en lien au quotidien avec le jeu. À savoir, le studio Zygomatic, les auteurs du jeu et l'équipe Entertainment, qui est l’entité dont je fais partie, et dont le métier est de gérer les licences. Cette entité fait le lien entre le producteur, le scénariste, les auteurs du jeu et le studio Zygomatic. En fait, on est le point de contact de toutes les parties prenantes, en faisant en sorte que la communication se passe bien, que les contrats soient négociés et signés et que tout soit validé en temps et en heure.
Et c’est à ce moment-là que Netflix s’est positionné sur le projet.
Où en était le projet quand vous êtes arrivé chez Asmodee ?
Etienne : Quand je suis arrivé chez Asmodee, ça faisait un an qu’il y avait eu ce premier contact de la part du producteur aux auteurs du jeu. Il y avait déjà un traitement, cette fameuse histoire en quelques pages, et tout le monde était d'accord sur la direction prise. Et puis moi, je me suis occupé de faire le contrat, de le négocier et de faire en sorte qu’il soit signé. Et pour toutes les autres étapes, j'étais là.
Quand la société Netflix est-elle entrée dans la danse ?
Etienne : Une fois qu’on a un producteur, un scénario et un réalisateur, il faut maintenant trouver un diffuseur pour faire vivre le film et le financer. Pour cette étape cruciale, c’est au producteur d’aller taper aux portes à la recherche du meilleur partenaire. Côté Asmodee, on s’y intéresse forcément, mais on n’intervient pas directement. Ce n’est pas notre expertise. En revanche, on est tenu au courant de la teneur des conversations. Et c’est à ce moment-là que Netflix s’est positionné sur le projet. Et le travail d’écriture s'est poursuivi avec les retours de Netflix.
Finalement, Asmodee n’a pas tellement traité avec Netflix ?
Etienne : Pas à ce moment-là, non. Mais à présent que Netflix est dans la boucle et que le film s’est fait et qu'il sort, on est en contact très régulier, voire quotidien avec eux, pour échanger sur la sortie, les dossiers de presse, les interviews ou encore les traductions des sous-titres.
Concrètement, que signifie traiter avec Netflix ?
Etienne : Netflix a une entité en France basée à Paris. Au sein de celle-ci, on y retrouve de la communication, du marketing et des équipes de localisation qui vont s'occuper de faire en sorte que le film soit sous-titré, traduit ou les deux dans chacun des pays. Ils ont bien évidemment un lien avec les équipes aux États-Unis. Mais moi, mes interlocuteurs chez Netflix, sont français. On s'appelle, on s'envoie des mails pour coordonner au mieux le lancement.
Le jeu va aussi devenir une émission sur Canal +. Comment ce projet était-il arrivé sur le bureau d’Asmodee ?
Etienne : L’émission de Canal+ est ce que l’on appelle un projet de flux, ou non scripté, c'est-à-dire qu’il n’y a pas de scénario. Il prendra la forme d’un jeu télévisé. C'est un projet qui a été initié de la même manière que le film. Lorsque je suis arrivé, il y a plus de 3 ans, le projet était déjà dans les tuyaux et était à peu près au même degré d'avancement.
Mais au final, on a des processus créatifs et de travail qui sont sensiblement les mêmes. On a des producteurs créatifs qui ont une envie. En l'occurrence là, ce sont les humoristes Fary et Panayotis Pascot. Fary est quelqu’un de très joueur et connaît très bien les jeux de société et le jeu des Loups-Garous de Thiercelieux. Ils ont initié le projet et ont ensuite contacté un producteur, Arnaud Chautard. Et de la même manière, ils ont travaillé sur une adaptation du jeu qui soit à la fois un projet audiovisuel à part entière - pas juste des gens autour d'une table en train de jouer à une partie de Loups-Garous de Thiercelieux - et qui soit extrêmement respectueux des règles. Il faut qu’il n’y ait aucun doute sur le fait que ce soit bel et bien une partie des Loups-Garous. Mais avec les moyens de la télé. Puis de la même manière, il a fallu trouver un diffuseur et donc là, ils sont rentrés en contact avec Canal+, ce qui implique une patte et un ton spécifique. Ce n’est pas exactement la même chose que si c’était quelqu’un d’autre. On peut presque dire qu’ils ont rajouté un étage à la fusée.
Est-ce qu'ils étaient au courant du projet du film ?
Etienne : Oui, dès le départ, Fary et Panayotis Pascot savaient qu’il y avait un projet de film. Et les producteurs du film savaient qu’il y a un projet de jeu télé. On ne savait pas si les deux projets allaient se faire parce que ce sont des processus lents et très incertains. Il y a beaucoup plus de projets de films que de films au final. Mais les deux projets connaissaient l'existence de l'autre.
Que pouvez-vous nous dire sur l’émission. À quoi doit-on s’attendre ?
Etienne : C'est une adaptation du jeu de société. L’idée du jeu télé est de faire la meilleure partie de tous les temps. D’ailleurs, c’est le sous-titre de l’émission : “La meilleure partie de tous les temps”. Alors, comment fait-on cela ? Eh bien, on pousse tous les curseurs ! Une partie, qui d'habitude dure une trentaine de minutes, va durer 13 jours, jours et nuits. Les jours sont de vrais jours et les nuits de vraies nuits. Et avec 13 participants qui sont hors normes dans leur capacité à pouvoir jouer aux Loups-Garous. Par exemple, on aura une journaliste d'investigation, une actrice, un mentaliste, un avocat pénaliste, un ancien espion, une joueuse de poker pro, un recordman du monde d'apnée capable de supporter la pression… L’idée était de réunir toutes ces personnes et de leur faire vivre une partie en temps réel pendant 13 jours. Ça reste quand même une véritable partie du jeu de société, avec les villageois et les loups-garous devant chacun s’éliminer lors de l’assemblée, mais adaptée à la télé. On est vraiment sur une adaptation respectueuse du jeu, mais cette transposition à la télé nécessite des ajustements pour rendre le concept télévisuel et pour offrir un spectacle vraiment incroyable. Rendez-vous le 11 octobre !
L'intérêt autour du jeu s’explique par le fait qu'aujourd'hui, c'est un jeu de société qui a dépassé le statut de simple jeu de société.
Comment expliquez-vous cet intérêt pour ce jeu de société, 23 ans après sa sortie ?
Etienne : L'intérêt autour du jeu s’explique par le fait qu'aujourd'hui, c'est un jeu de société qui a dépassé le statut de simple jeu de société. C'est un phénomène culturel. Le jeu est sorti en 2001, les personnes qui avaient 20 ans, ont aujourd’hui près de 45 ans et ont eux-mêmes des enfants. Ce qui contribue à développer le nombre de joueurs. Toute une population d’ado et d’adultes se le sont approprié pour y jouer ensemble en soirée. Le jeu fait partie d’une soirée normale entre amis. Et en même temps, c’est aussi un jeu classique dans les centres aérés, les écoles élémentaires ou les colonies de vacances, parce qu’il a cette capacité à relier les gens. Les Loups-Garous de Thiercellieux c’est le paroxysme du jeu de société. Il permet de se connecter, de se connaître, de se révéler. Et bien sûr, on peut faire des coups bas. Tout ça dans un jeu qui est devenu une partie de la pop culture. Donc, il y a une appétence à retrouver cet univers connu de tous.
Est-ce le jeu parfait pour des adaptations ?
Etienne : Oui, c'est un jeu qui s’y prête très bien. Le jeu comporte déjà une orientation scénarisée, mais ensuite, il faut réussir à créer une histoire au sein de cet embryon. Mais c’est vrai, il y a un véritable embryon. Toutes les personnes ayant joué aux Loups-Garous de Thiercelieux se disent : “Mais oui, il y a une histoire à raconter !”
Pour faire un film, il faut un scénario, une histoire, et dans ce jeu-là, on a déjà les prémices d’un scénario qui sont bien ancrées. Si on reprend le pitch des Loups-Garous, on a des loups-garous qui veulent éliminer des villageois à la nuit tombée et qui, le jour, mentent sur leur véritable identité aux vrais villageois à qui il incombe de les démasquer. Dit comme ça, c'est presque le début d'un scénario. D’ailleurs maintenant, c’est effectivement le début d'un scénario.
On travaille, avec plein de gens pour voir ce qu'il est possible de faire.
Avez-vous d’autres projets pour Les Loups-Garous ?
Etienne : Alors oui, évidemment ! Mais en dehors de ces deux projets, il existe déjà un escape book sorti l'année dernière, publié par Mango Éditions et qui s'appelle Enquête au village. Le livre a gagné le prix du meilleur livre adapté d’un jeu au Festival International des Jeux de Cannes en février dernier.
Il existe aussi un roman publié chez Bragelonne Castelmore, qui s'appelle Lune Rousse, paru il y a quelques années. Et il y a un deuxième roman, La Confrérie du Loup, qui paraît la semaine prochaine chez le même éditeur. Il ne s’agit pas réellement d’une suite, parce que ce sont des romans indépendants. On peut lire le premier, puis le deuxième. Mais on ne peut en lire qu’un seul. Je vous conseille de lire les deux, parce qu’il y a un univers commun avec des clins d’oeil.
Et puis on travaille sur d’autres choses. On travaille, avec plein de gens pour voir ce qu'il est possible de faire. Une BD est dans les tuyaux notamment. De quoi prendre rendez-vous pour un autre billet sur le blog !
Quels autres jeux du catalogue pourraient suivre l’exemple des Loups-Garous ?
Etienne : Aujourd'hui, l’équipe en charge des licences chez Asmodee a pour mission de développer les univers de ses titres pour donner aux amateurs de jeux la possibilité de prolonger l'expérience et de retrouver ces univers ailleurs qu’autour de la table. Parce que quand on est joueur et qu’on plonge dans un univers, on a parfois envie d'y retourner, mais d'une autre manière, quand la boîte est fermée.
Donc oui, on a plusieurs développements en cours. On échange avec des producteurs et des scénaristes, et on essaye de trouver la bonne histoire à raconter qui soit fidèle aux jeux. Et puis, sur d’autres projets, on est à l’étape suivante et on essaie de trouver les bons partenaires qui pourraient nous accompagner. Mais comme je le disais, ce sont des processus très longs et incertains. Je ne vais pas donner de noms, parce que si je le fais, ce sont forcément les projets cités qui ne vont pas se faire et inversement. Après, on a chacun ses envies ou sa petite idée sur ce qui ferait un bon film ou une bonne émission.
On est en train de cuisiner, mais les assiettes ne sont pas encore dressées.
Avez-vous d’autres projets qui vont arriver dans un futur plus ou moins proche ?
Etienne : Je préfère ne pas donner d'informations qui pourraient être prises comme certaines, alors qu'elles ne le sont pas. On est en train de cuisiner, mais les assiettes ne sont pas encore dressées. Ce qu'il faut savoir c'est que ce genre de projet sont très longs. Là, les deux projets audiovisuels ont été faits en quatre ou cinq ans. Ce qui est plutôt rapide, finalement. En général, on est plus autour de 7 à 10 ans. Donc, quand on arrive à le faire en 5 ans, on est content.