Nous approchons de la fin d’année et, si vous suivez un peu notre page du Barbu du Jeu de rôle, vous savez peut-être que c’est le moment idéal pour vous partager nos coups de cœur rôliste de l’année 2022.
Comme on a décuplé nos forces, passant de 2 à 4 barbus, nous avons presque pu tenir le rythme des sorties de nos amis éditeurs et lire, faire jouer, lire, jouer, lire... Pas facile tous les jours avec notre boulot ! Bref, parmi la pléthore de jeux, de suppléments et d’accessoires qui sont sortis lors des derniers mois, Alex, Johan, Seb et moi-même vous proposons nos 2 coups de cœur 2022.
Et ce ne fut pas facile de choisir...
Les coups de cœur d'Alex, notre figuriniste multiclassé rôliste !
Forbidden Lands
Forbidden Lands s'inscrit dans la lignée des jeux OSR (Old School Revival), dont l'objectif assumé est de revenir à un mode de pratique du jeu de rôle proche de celui des premières années de son existence. Pour faire simple, il s'agit de jouer des aventures où les personnages se mettent réellement en danger, ne sont pas nécessairement des parangons de vertu, le tout dans une ambiance plus Sword & Sorcery que la traditionnelle Heroic-Fantasy. On lorgne donc bien plus du côté de Lieber, Howard ou Vance que de Tolkien.
Forbidden Lands diffère de ces deux jeux en proposant un système de règles plus moderne (le désormais célèbre Year Zero Engine) et un monde dans lequel évoluer (une région reculée, le Corvan). Le postulat du contexte est simple : pendant plusieurs siècles, une brume magique et écarlate s'est abattue sur la région, empêchant les longs voyages et les échanges entre les communautés. Aujourd'hui, cette brume se lève progressivement et avec elle se réveillent les désirs d'aventure, d'exploration de souterrains et de combat contre des démons.
Et c'est exactement ce que le jeu propose. Une grande carte du Corvan avec des hexagones à explorer par les joueurs, des règles complètes et riches de voyage et de survie, quelques sites d'aventures prêts à l'usage et un générateur de site d'aventures. Non, pas de scénario. Pas de ligne de chemin de fer à emprunter. Une très grande liberté qui déstabilisera pas mal de joueurs.
Alors, quel verdict pour Forbidden Lands ? Est-ce que c'est bien ?
Oui, assurément. Et je juge le jeu à l'aulne d'une trentaine de séances de ma campagne en cours.
Est-ce que cela conviendra à tout le monde ?
Certainement pas.
Les joueurs adoreront généralement la liberté que le jeu offre dans l'exploration du monde et le développement de son personnage.
De l'autre côté de l'écran, la tâche demande un peu d'expérience, beaucoup de travail et une adaptabilité de chaque instant, car l'improvisation est fréquente. Mais le jeu en vaut largement la chandelle et le plaisir que chacun en retirera est suffisant à justifier ces efforts.
Enfin, si vous comptez vous lancer dans l'exploration du Corvan, je ne saurais que trop chaudement vous recommander "Le Châtiment du Corbeau" le cadre de campagne officiel, disponible séparément. Il vous fournira une trame de campagne qui se dévoilera au fur et à mesure et huit sites d'aventures tous très réussis. Franchement, c'est un ajout réellement indispensable et sacrément inspirant.
Forbidden Lands est vraiment un bijou qui mérite qu'on s'y penche. Mais attention, le temps de préparation et de jeu sera à la hauteur du plaisir qu'il vous procurera (ou l'inverse, à vrai dire...)
Call of Cthulhu 7th Ed - A Time to Harvest
A Time to Harvest (qu'on pourrait traduire par "Le Temps des Moissons") est la dernière campagne en date de l'Appel de Cthulhu au moment où j'écris ces lignes.
Cette campagne se déroule en 1930 et débute au sein de la vénérable Université de Miskatonic. Idéalement, les joueurs incarneront des étudiants (une excellente galerie de personnages prêts à jouer est incluse) qui vont prendre la route pour le Vermont pour un séjour pédagogique estival. Bien entendu, tout va bien se passer...
Outre la campagne, l'ouvrage regorge d'informations sur l'université, les personnages étudiants et le Vermont. Ainsi qu'un chapitre de très grande tenue sur l'antagoniste principal de la campagne, que nous ne révélerons pas ici.
Pour moi, c'est l'une des meilleures campagnes de l'Appel de Cthulhu, et ce, pour plusieurs raisons :
- Elle est relativement courte. Cinq chapitres (et un sixième chapitre optionnel), qui nécessiteront chacun entre 2 et 3 séances de jeu. Et il est à noter qu'il s'agit de la première campagne dont une partie non négligeable de l'intrigue se déroule dans la Vallée de la Miskatonic !
- Elle est idéale pour des débutants. Jouer des étudiants est rafraîchissant, et sans trop en révéler, pas question ici de sauver le monde. Et pas besoin d'être un vétéran de l'Appel de Cthtulhu pour tirer son épingle du jeu. C'est une campagne à échelle humaine, parfois terriblement humaine, et une plongée dans l'horreur avec notamment un cinquième chapitre qui restera longtemps gravé dans l'esprit des joueurs.
- Elle est très bien rythmée. On sent une progression vers l'horreur et les révélations finales sont terribles. Le sixième chapitre est optionnel, mais conclut de manière intéressante la campagne.
- Elle n'est pas aussi mortelle que la plupart des autres campagnes. Normalement, à moins d'être des têtes brûlées, les personnages arriveront au chapitre 5, qui peut servir de conclusion à la campagne. Par contre, on reste dans l'Appel de Cthulhu, et il est peu probable que la fin soit heureuse...
- Comme toute la production de la 7e édition de l'Appel, elle est très bien fournie en aides de jeu de très grande qualité, avec de superbes plans, des documents à remettre aux joueurs et d'autres éléments immersifs.
Pour toutes ces raisons, j'ai réellement apprécié A Time to Harvest. Il devient presque lassant d'encenser chaque nouveau supplément de l'Appel de Cthulhu, mais il faut reconnaître que le travail de l'équipe de Chaosium est bigrement impressionnant.
Les coups de cœur de Johan, notre amateur de tentacule et d’occultes
Vaesen – Mythic Britain & Ireland
Le supplément Mythic Britain & Ireland, amène un renouvellement de Vaesen très intéressant. Exit donc la Suède et bienvenue dans l’Angleterre et l’Irlande de l’ère victorienne. Bien que le livre de base évoque évidemment l’industrialisation du monde moderne, notamment comme raison pour les créatures folkloriques de s’attaquer plus souvent aux humains, ce supplément en fait ici le pivot central de la majorité de vos récits.
Là où Vaesen décrit un univers majoritairement rural, Mythic Britain & Ireland projette le fantastique au sein même de villes telles que Londres, Glasgow ou Dublin. Permettant une toute nouvelle approche des problématiques de cohabitation entre les humains et les vaesens.
En plus de nouveaux archétypes de personnages, on retrouvera tout un nouveau bestiaire, avec quelques entrées dérivées du bestiaire d’origine. Le supplément propose même des variants à un grand nombre d’entre elles, afin de les jouer de façon pertinente dans différents lieux géographiques des îles.
Et quel plaisir de retrouver les illustrations incroyables de Johan Egerkrans (Que je n’apprécie pas uniquement parce qu’il a le même prénom que moi, même si ça aide), et ce style si particulier.
Bref, un supplément de très bonne facture que ce soit aussi bien au niveau du contenu que du contenant ! Bravo Free League !
Trouilleville
C’est sous l’égide de Makaka Edition que Johan Troïanovski (Encore un Johan de talent, ça ne s’invente pas), auteur et illustrateur de BD pour enfants, s’essaye au jeu de rôle. Et il faut bien dire que l’essai est transformé, car Trouilleville est une très belle œuvre et une chouette porte d’entrée dans le monde du JDR pour nos bambins.
Les joueurs y incarnent des monstres tout mignons, vivants des aventures dans la province reculée de Trouilleville.
Très bien réalisé, le livre se destine aussi bien à une Fossoyeuse (Meneuse de jeu) confirmée que débutante, avec une mini-aventure “Dont vous êtes le héros” apprenant de façon simple et didactique les mécaniques du jeu.
Vient ensuite une personnalisation de personnage qui pourrait faire pâlir quelques œuvres plus confirmées. Vous pouvez donc incarner, entre autres, une Sorcière, un Golem ou même un Profond (ïa, ïa!) dans des aventures à la thématique légère sans pour autant être dénuée de fond.
Avec la présence d’une aventure prête à jouer et de personnages pré-tirés, Trouilleville rassemble tous les ingrédients pour réussir son entrée.
Donc si vos enfants pleurent encore le retrait des citrouilles, pas d’hésitation, Trouilleville est pour vous !
Les coups de cœur de Seb, notre collectionneur et gardien du savoir ancien rôliste
Midnight : L'Héritage des Ténèbres
J'attendais fébrilement cette 3e édition depuis que les bruits de couloirs concernant sa sortie sont parvenus à mes oreilles. C'est un univers que je connais très bien, car je possède toute la gamme de la 2e édition publiée à l'époque chez Black Book. Plutôt blasé par le genre médiéval fantastique, Midnight avait été pour moi un vrai coup de foudre.
Je parcours désormais avec soulagement cette adaptation en 5e édition, moi qui m'étranglais à moitié devant la liste de sorts à rallonge de certains adversaires bien coriaces de l'édition 3.5.
Comme je l'ai dit, je connais très bien cet univers et pourtant j'ai pris à nouveau beaucoup de plaisir à le relire. J'aime toujours autant m'imaginer les grandes plaines de cette Erenlande meurtrie et divisée, m'étonner du silence des immenses forteresses naines abandonnées des Kaladrunes et frissonner devant les terribles horreurs qui se déroulent à Theros Obsidia. Je trouve que cet univers offre aux joueuses des moments d'héroïsme à chaque instant, car le danger est omniprésent. On y vit des aventures dans le ton de la Résistance d'un pays envahi, sous le prisme de la Fantasy : les soldats orcs qui exécutent sommairement et pillent la population qu'ils nomment "bétail", l'interdiction formelle d'usage de la magie sous peine d'exécution sans sommation, l'imposition d'un culte unique et obligatoire dédié au Dieu Sombre, même la collaboration est abordée.
Je le redis, le danger est partout : traitres actifs ou latents, pièges vilement planifiés, adversaires en patrouille et en surnombre, espions de toutes sortes, démons issus de sombres expériences relâchés en plein jour, lieux maudits par l'essence du Dieu sombre...
L'univers de Midnight est rude, désespéré, violent et peut aller très loin dans l'inhumain et l'immoral. L'éditeur a eu la bonne idée de dédier un chapitre au ton à adapter en fonction de la sensibilité de votre groupe. À juste raison, il suggère l'usage de plusieurs outils, comme "Lignes et Voiles" ou "la Carte X".
Vous l'aurez compris, ce jeu a clairement sa place dans mon top 10 et je vous le recommande chaudement. Dépaysement, défis, survie... C'est face à l'adversité la plus rude qu'émergent les plus grands actes de bravoure parait-il.
La Ville en Jaune
Ça y est, c’est fait, c’est joué et c’est un coup de cœur. La campagne n’est ni trop courte, ni trop longue, nous avons mis environ 50H avec cinq PJ.
Divisée en 3 chapitres d’intensité croissante, il y a un véritable plaisir à voir les joueuses transpirer au fur et à mesure que les évènements s’enchainent et qu’elles sentent que le pire arrive, inexorablement. Pour être honnête, au-delà du cadre de la ville qui est celle où je vis, c’est le dernier chapitre qui m’a clairement motivé, car j’avais très envie de donner vie à tout ça. Au final, je n’ai pas été déçu et elles non plus.
Le point de départ est un évènement historique : la grande percée. La campagne prend des libertés par la suite, mais tente d’être aussi rigoureuse que possible sur le cadre de jeu.
L’ouvrage est complet et précis. Rien n’a manqué à mes yeux. À noter qu’il y a pas mal d’aides de jeux à fournir à vos joueuses. D’ailleurs, je dois souligner à quel point il m’a semblé indispensable de les avoir, entre les plans de la ville, la foule de PNJ et la nombreuse documentation. Il y a beaucoup de choses, peut-être trop. Mes joueuses sont revenues très régulièrement dessus, élaborant des théories et analysant les pistes. Ne pas les avoir physiquement me semble très compliqué.
Le rythme dans l’ensemble est bon, mais je confesse avoir eu un moment de doute au début de la campagne, lors de l’exploration de chantiers (et il y en a beaucoup), car il y avait un moment de flottement où les joueuses ne savaient pas trop où aller. Jusqu’à un moment décisif (qui nécessite quand même de faire une action illégale) et là ça se déroule tout naturellement jusqu’au bout.
Le système Cthulhu Hack fonctionne parfaitement, donnant un ton un peu pulp, mais l’ensemble reste adaptable en système Chaosium sans trop de difficulté. Les affrontements restent assez limités et c’est très appréciable, permettant ainsi de mettre les bouchées doubles, voir triples, au dernier chapitre (parce qu’il ne faut pas déconner non plus).
Enjeu fort à l’inéluctabilité pesante, cadre atypique, fausses pistes, conflits binationaux, climax et moments glauques, voire hallucinés, font de cette campagne une vraie réussite. Je me suis régalé au dernier chapitre, notamment avec la cathédrale qui donne un ton d’horreur gothique savoureux.
Mention spéciale pour le clin d’œil à Philibert, à travers ses deux fondateurs : Philippe et Robert, PNJ qui tiennent une boutique de jeu.
Les coups de cœur de Guillaume, grand barbu en chef, adepte de l’horreur qui tache
Warpland
C’est un jdr de Science-Fantasy psychédélique, un univers sombre et violent qui fait furieusement penser à la grande époque de Métal Hurlant. En 2 minutes de lecture, après avoir vu 2-3 illustrations, on sait tout de suite où l’on va : de la Science Fantasy qui fleure bon la Sword & Sorcery ^^
Ouais, pas sûr que là ce soit clair pour tout le monde. Mais je dois dire que c’est bien ça qui m’est venu en tête à la lecture des premières pages : des terres dévastées et désolées, des tribus de barbares, de guerriers, des cultes impies et des cités peuplées, mais dangereuses.
Je vous préviens tout de suite toutefois, si vous aimez les kilos de background, les tableaux de carac jusqu’à l’indigestion, passez votre chemin. Warpland va à l’essentiel, aux MJs de se démerder après !
Le tout est motorisé par un système light, sans fioritures, avec une créa de perso rapide, parfait pour rentrer dans le vif du sujet sans attendre.
Bon voilà, je ne vais pas m’étendre davantage, je préfère vous laissez découvrir, mais pour moi Warpland c’est la belle surprise, le petit truc rafraichissant (comme on en compte beaucoup) dans le paysage rôliste. J’ai littéralement dévoré le bouquin, bon, vous verrez que les illus prennent pas mal de place, donc les 150 pages se parcourent assez rapidement.
Encore une belle pioche de la part de Pattern Recog, j’ai hâte de découvrir leur prochaine trouvaille !
NOC
Je ne vais pas mentir, NOC rassemble tout ce que j’aime dans le genre : un univers fort, désespéré, violent, oppressif et mortel. Oui, on n'est pas chez les Bisounours (et oui, j’ai peut-être besoin de consulter^^). On n'y joue pas des héros (pas au début du moins), mais des survivants comprimés, essorés, compressés par une administration qui contrôle tout. Pour le bien de l’humanité, bien sûr.
NOC propose un univers construit, profond et singulier, en créant une ambiance claustrophobique à une échelle mondiale. C’est un vrai jeu d’horreur dystopique, un peu comme si Germinal avait été écrit par Barker et illustré par Giger. Il y a des monstres, des choses inexpliquées et innommables, des dangers mortels, mais aussi une horreur humaine, sociale qui donne de la crédibilité à l’ensemble.
Et au milieu de tout ça, il y a peut-être un espoir : vous (enfin, pas vous, les joueurs quoi !)
NOC c’est aussi un jeu à secrets. Et l’auteur a eu la bonne idée de les dévoiler dans ce livre de base. Cela permet de mieux comprendre la diégèse du jeu et ses tenants et aboutissants, de mieux incarner l’Administration dans toute sa monstruosité déshumanisante, et le monde obscur et mortel qui s’étend aux pieds des Blocs.
J’avoue avoir été souvent un peu déçu des secrets de certains jeux, l’envers du décor allant parfois un peu à l’encontre de ce que j’avais pu m’imaginer. Chez NOC, ce n’est pas le cas, on est loin du flop : c’est cohérent avec l’histoire, ça justifie la place des personnages des joueurs dans ce monde et leurs rôles à venir.