Tous les joueurs connaissent la figure du meeple, cet adorable petit bonhomme en bois tout en rondeur, devenu au fil du temps le symbole du jeu de société moderne. Mais d’où vient cette forme iconique et pourquoi ce nom de meeple ? La création du pion en bois coloré, la naissance de son nom et les controverses liées. Dans quelques minutes, vous saurez tout !
C'est quoi, un mipeul ?
La question peut sembler inopportune tant le terme est rentré dans le langage courant de tout joueur passionné, mais il convient ici de planter le cadre pour bien comprendre tout ce qui se cache derrière cette notion.
Même si chaque joueur a sa propre définition du meeple, celui-ci peut se définir dans son acception la plus stricte comme étant un petit jeton en bois de forme humaine représentant un joueur dans un jeu de plateau.
Bien sûr, il s’agit ici de sa définition la plus stricte. D’autres diront qu’un meeple désigne tout jeton coloré en bois utilisé par un joueur quelle que soit la forme représentée (un humain, un animal, un arbre, un monstre, un dinosaure, etc.). Mais c’est un autre débat. Nous traiterons ici uniquement de la forme originelle du meeple évoquant un bonhomme arrondi, même si les astronomes y verront la représentation d'une étoile et les Canadiens d'une feuille d'érable (Maple en anglais).
D’où vient cette forme ?
J’entends déjà les vieux briscards crier en chœur : “De Carcassonne !” Et c’est exact ! La forme du meeple telle que nous la connaissons aujourd'hui est apparue pour la première fois en 2000 dans le jeu Carcassonne de Klaus-Jürgen Wrede. Ces petits pions colorés représentaient des paysans, chevaliers, moines et voyageurs que les joueurs posaient sur le plateau de tuiles au fur et à mesure de sa construction.
Au moment de la conception de Carcassonne, l’équipe créatrice était à la recherche d'un petit personnage qui symboliserait les joueurs sur le plateau. Celui-ci devait remplir deux conditions. Premièrement, il devait être assez “neutre” pour représenter selon son placement dans le paysage un chevalier, un voleur, un moine ou un paysan. Deuxièmement, il devait tenir aussi bien debout que couché.
La forme du meeple est née de la main de Bernd Brunnhofer, le fondateur de Hans im Glück, la maison d’édition de Carcassonne. D’après la légende, seuls quelques coups de stylo ont été nécessaires avant d’envoyer le croquis chez le fabricant M. Seidenstücker où le petit personnage en bois a pris vie. Après quelques échanges et ajustements, le premier meeple était né !
Si la forme du meeple trouve bien son origine en Allemagne, il en est tout autre pour son nom. L’édition originale de Carcassonne en allemand désignait ces petites figurines rondouillardes par le terme “gefolgsleute” que l’on peut traduire par “homme de main” ou sbires. Les Anglo-saxons parlaient, quant à eux, de “henchman”.
Seulement, si Carcassonne a rapidement été adopté par les joueurs du monde entier, ce terme de “sbire”, lui, est resté en Allemagne.
Notons que si le meeple a été popularisé avec Carcassonne, le concept de la figurine colorée en bois n’a pas été inventé par Hans im Glück. S’il est difficile de dater avec certitude sa naissance, il est communément admis que Top Secret Spies de Wolfgang Kramer est le premier jeu à en utiliser. Édité en 1984 par Ravensburger, le jeu a remporté le Spiel des Jahres en 1986.
Pourquoi parle-t-on de meeple ?
L’histoire de ce nom est tout à fait fascinante. Officiellement, le nom meeple a été inventé par une dénommée Alison Hansel au cours d’une partie de Carcassonne tenue dans la région de Boston. Le terme est la contraction de “my” et “people”.
Mais rentrons un peu dans les détails de cette origine communément admise.
Nous sommes le 25 novembre 2000, l’association South Shore Gamers organise une soirée jeux où huit personnes se réunissent pour s’adonner à leur passion. Parmi les joyeux lurons figurent Dave Bernazzani, qui consigne le déroulé de la soirée et Alison Hansel et son mari David, qui rentrent tout juste d’un voyage à New York. Ils sont d’ailleurs remerciés par Dave au début de son rapport pour leur présence surprise. Au cours de la soirée, les joueurs ont joué à pas moins de huit jeux, parmi lesquels figure la nouvelle perle ludique venue tout droit d’Allemagne. Il s’agit bien entendu de Carcassonne. Le jeu n’est pas encore sorti aux États-Unis et le groupe est parvenu à obtenir une version allemande.
Voici ce que dit Dave Bernazzani dans son compte-rendu :
“J'ai joué mes deuxième et troisième parties de ce jeu léger de pose de tuiles ce soir. Je l'aime bien ! Bien sûr, je suis un fanatique des bons jeux de pose de tuiles ; ils ont généralement un bon mélange de chance et d'habileté (et sont généralement rapides). Celui-ci n'a pas déçu. Il y a 72 tuiles. À chaque tour, vous en prenez une, vous la posez sur le plateau et vous placez éventuellement un petit personnage en bois (que nous appelions "Meeples" et qui, je pense, signifiait "My people", mais il faudrait demander à Alison qui l'a inventé) sur la tuile qui vient d'être jouée.”
Malheureusement, on retrouve peu de traces d’Alison Hansel qui n’était pas très active sur les forums à l'époque. Les seuls propos “directs” de la joueuse ont été relayés par Dave :
“J'ai commencé à appeler ces petits personnages "meeples" à Carcasonne, le samedi, qui m'ont vraiment rappelé les pièces totalement cool de Sumera (1999) et Europa 1945-2030 (1998).”
Si on n'en apprend pas plus sur l’origine du mot, on peut toutefois noter que la joueuse connaissait d’autres jeux qui utilisaient, avant Carcassonne, des petits pions colorés humanoïdes en bois.
Un terme qui s'est propagé comme une traînée de poudre
Mais comment un terme utilisé spontanément par une joueuse dans une soirée jeux privée s’est-il imposé dans le monde entier ?
Eh bien grâce à l’incroyable pouvoir d’internet ! Comme nous l’évoquions plus haut, Dave a consigné la soirée et s’exprimait beaucoup dans les forums en ligne (BGG, Spielfrieks, etc.), qui étaient un excellent moyen de partager sa passion avec le reste du monde. Carcassonne étant une véritable révolution ludique à l’époque, on imagine sans mal le passionné de Dave et d’autres joueurs locaux parler de leur jeu préféré du moment et de ses meeples. Un terme court, efficace, facilement mémorisable et qui sonne bien dans toutes les langues. De plus, il a été rapporté dans des forums BGG que des personnes influentes du monde ludique, telles que Alan R. Moon (Les Aventuriers du Rail) et Jay Tummelson (fondateur de Rio Grande Games) auraient rapidement adopté le nom et l’utilisaient dans des conventions de jeux. Ce qui ne peut être qu’un accélérateur à sa propagation.
Il existait un vide pour désigner ces adorables petites créatures en bois que l’invention d’Alison Hansel a rapidement comblé.
Enfin, Dave Bernazzani a écrit la première grande FAQ sur Carcassonne et l'étymologie du terme y figurait.
Une légende urbaine ?
Cette histoire est-elle trop belle pour être vrai ? C’est ce que semble penser certains passionnés qui relancent régulièrement le débat sur les forums de BGG. Chacun y va de son argument, plus ou moins pertinent, pour remettre en cause la trouvaille d’Alison Hansel. Passons en revue deux théories (plus ou moins sérieuses) afin de compléter la thèse originelle.
Une version anglicisée d’un mot allemand ?
Ce premier point ne remet pas en cause à proprement parlé la thèse de l’invention de la joueuse américaine, mais apporte un éclairage supplémentaire à la signification du terme. Sur un forum BGG, on apprend que dans l'un des épisodes du podcast The Dice Tower de Tom Vasel, les joueurs allemands utilisent le mot “pöppel” pour désigner un pion utilisé dans un jeu de société. Publiée de 1979 à 2001, Pöppel-Revue, une revue allemande spécialisée dans les jeux de société, témoigne d'ailleurs de la popularité de ce jargon dans le milieu ludique.
Même si l’histoire s’en tient à dire que le nom de meeple est la contraction de “my people” sans mentionner ses racines germaniques, il semble pertinent de penser qu’Alison Hansel aurait également pu s’inspirer, même inconsciemment, de ce mot venu d’outre-Rhin.
Dave Bernazzani (toujours lui) apporte une réponse qui conforte cette forte probabilité : “Alison et David Hansel venaient de se marier et de rentrer d'Allemagne lorsqu'ils ont rejoint mon groupe des South Shore Gamers. C'était la première ou la deuxième session en 2000 lorsque Carcassonne est sorti. Nous avions l'habitude de commander chez Adam-Spielt et il s'agissait de la version allemande. Heureusement, Alison et David étaient les traducteurs pour toutes nos règles allemandes.”
Un terme utilisé dans Stargate ?
Bon, cette thèse est plus farfelue, mais tellement amusante que nous ne résistons pas à l'idée de la relayer. Toujours sur un forum BGG, dans un fil de discussion appelé “First use of the word meeple ?”, un utilisateur du forum partage sa découverte : le mot “meeple” aurait été utilisé dans le film Stargate, la porte des étoiles de… 1994 :
“[...]le mot a été utilisé plus tôt dans le film Stargate de 1994. Le Dr Daniel Jackson, interprété par James Spader, explique certains hiéroglyphes/symboles lors d'une réunion et décrit les personnes situées de part et d'autre d'un symbole comme des meeples.”
Selon cet utilisateur, l’utilisation du mot “meeple” par Alison Hansel en 2000 n’est pas remise en cause. Mais sa découverte impacte l’invention, elle-même, puisque le mot daterait en réalité de la première moitié des années 90.
Bon, cette thèse n’a pas convaincu beaucoup de monde. Pour certains, le Dr Daniel Jackson n’a jamais prononcé le mot "meeple", l’utilisateur en question aurait simplement mal entendu, pour d’autres, l’invention d’Alison n’aurait rien à voir avec Stargate.
Même si elle avait vu le film, et rien ne nous le prouve que c'est le cas, il est tout de même assez difficile de croire que la joueuse se serait souvenu de ce mot entendu dans Stargate au moment de sa partie de Carcassonne.
Si chacun peut avoir son propre avis, nous avons choisi de nous ranger derrière la thèse officielle parce qu'il s'en dégage une certaine magie. Né en Allemagne, baptisé aux États-Unis et adopté par internet, le meeple a réussi à conquérir les foyers du monde entier. Sa forme simple et minimale symbolise à elle seule le monde ludique et ses aficionados. Qui aurait pu se douter d'un tel destin pour un si petit bout de bois ?
