FaÄmi est un jeu de société pouvant servir de support pour mieux connaître ses proches. Pour en savoir plus sur ce projet singulier, nous avons échangé avec Gauthier Dekerf, biographe et créateur du jeu, auto-édité par son entreprise Écris ton histoire. L’occasion d’en apprendre sur son métier, son parcours et son aventure ludique. Voici l’interview !
Bonjour Gauthier, on peut dire que vous avez plusieurs cordes à votre arc. Que répondez-vous à la question : “Que faites-vous dans la vie ?”
Gauthier : Ma première réponse est de dire que je suis biographe et écrivain de famille, c'est-à-dire que j'accompagne les personnes à écrire leur histoire ou une partie de leur histoire. Biographe, pour raconter toute ou partie d’une vie et écrivain de famille, parce que je crois beaucoup à la transmission. J'aime aussi toucher à d'autres sujets, comme écrire le livre de recettes d'une mamie à ses enfants, pour leur transmettre ses recettes, mais aussi les histoires qui y sont liées. Mais la transmission peut aussi passer à travers un conte pour enfant ou le récit d’une période bien précise. Depuis la création du jeu, j'aime dire aussi que je suis facilitateur de transmission. J'aimerais que tout le monde ait ce réflexe de transmettre quelque chose. C'est important de ne pas omettre des choses, gaies ou pas, et la transmission peut aussi se faire à travers un jeu.
En quoi consiste le travail de biographe ?
Gauthier : Être biographe, c'est accompagner les personnes dans l'écriture. En plus de la transmission, il y a un deuxième aspect important qui est l'accomplissement. Écrit ton histoire, c'est vraiment fait pour qu'on aille jusqu'au bout des choses. Si la personne commence des séances d'écriture avec moi, on ira jusqu'au bout quoi qu'il arrive. Il y a bien sûr des imprévus, comme la santé par exemple, qui est finalement la seule chose qui peut freiner. Mon métier, c'est aussi d'accompagner et de coacher les personnes pour qu'elles continuent d’avoir envie d'écrire. J'aime dire qu'on écrit sa vie toute sa vie. En tant que biographe, j'accomplis jusqu'à l'impression du livre et je permets à la personne d'avoir son livre entre les mains à la fin de la dernière séance.
Comment devient-on biographe ?
Gauthier : Par l'école de la vie. Je n'ai pas eu de cursus universitaire. C'est surtout issu de la passion de l'écriture et celle des mots. En fait, j'aime bien m'entourer des mots.
Je parle de l'école de la vie, parce que suite à la rencontre de mon épouse, nous sommes partis en Inde. On a appris à se connaître à travers ce voyage un peu initiatique, en vivant notamment trois mois dans les bidonvilles du nord de l'Inde. Dans notre groupe social, on faisait partie des premiers à avoir voyagé et suite à ce voyage, on a eu beaucoup de questions de nos proches. Comme j'avais en tête l'écriture d’un livre, je me suis dit qu’il y avait peut-être un sujet. D'un carnet de route, j'en ai fait un roman, avec la volonté de transmettre quelque chose. D’ailleurs, quand j'étais en Inde, j'ai imaginé des enfants, que je n'avais pas encore, ouvrir une malle dans un grenier et tomber sur le livre. C'est ce qui m'a motivé à écrire et je me suis entraîné à l'écriture à travers ce projet-là.
Puis, il y a eu un deuxième projet, né de l’accompagnement de mon grand-père en soins palliatifs. Je me suis rendu compte qu'en lui posant des questions, il se sentait mieux, il avait moins mal. Et moi, je passais un merveilleux moment avec lui. Malheureusement, j’ai manqué de temps pour écrire sa biographie, mais je me suis servi de ce que j'avais vécu avec lui pour créer des personnages et créer mon deuxième roman, Le bruit discret des étoiles. Ça m’a permis de catalyser tout ce que j’avais vécu avec mon grand-père à travers cette histoire et de parler d'un sujet qui m'intéressait à l'époque qui était l’expérience de la mort imminente.
Dix ans après ce deuxième livre, pendant le COVID, j’ai fait un bilan de compétences et tout est remonté. Sans le savoir, ces deux expériences et ces deux projets d’écriture m’ont préparé à ce métier de biographe. Pour ce métier, il faut aimer discuter, mais surtout écouter les autres. Il faut aimer les autres. On est tous différents et quand on se lance dans une biographie, écrire à quatre mains, c'est vivre avec l'autre et c'est aussi vivre un peu la vie de l'autre à travers son histoire.
Vous servez-vous de votre expérience d’auteur édité pour conseiller vos clients ?
Gauthier : Je l'utilise un peu, oui. J'ai parfois des clients qui veulent éditer le livre que j'ai écrit pour eux ou avec eux. Mais, en même temps, c'est un autre pan de ma vie. Je prends plaisir à écrire pour les autres, mais je ne parle jamais des romans que j'ai écrits. Je ne me sens plus légitime avec ces romans. Déjà parce que je ne les aurais pas du tout écrits de la même manière. J'étais jeune et j'ai appris à écrire différemment. Donc, ce n’est pas vraiment quelque chose que j’aime bien mettre en avant.
Par contre, ces deux projets m’ont permis de me rendre compte que je pouvais aller jusqu'au bout. Et ça m’a permis aussi de découvrir un peu les rouages de l'édition. Mais dans mon métier, ce n’est pas ce que je mets en avant parce que je ne suis pas une maison d'édition. Quand on écrit pour vendre, on n’écrit pas de la même manière que lorsqu’on le fait pour soi. Et je refuse les projets de biographie pour vendre. Pour moi, une biographie doit d'abord être là pour transmettre.
Alors, c’est quoi FaÄmi les questions qui rapprochent ! ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le concept du jeu ? Et pourquoi cette orthographe originale ?
Gauthier : Le jeu a été pensé pour tous celles et ceux qui veulent passer un bon moment en apprenant plus des uns et des autres. Si au départ, le jeu était fait pour la famille, je me suis vite rendu compte qu’il pouvait aussi être destiné à la famille de cœur, les amis.
Du coup, je trouvais sympa de faire le jeu de mots avec le titre du jeu, FaÄmi, qui inclut donc les deux types de cercles, famille et amis.
Comment est née l’idée de transposer les questions que vous posez en tant que biographe dans un jeu de société ? Qu’est-ce qui vous a motivé ?
Gauthier : Le jeu est né de la frustration des clients qui ne pouvaient pas écrire leur histoire. Celles et ceux qui ne peuvent pas s'offrir des séances d'écriture individuelles ou collectives par manque de temps ou d'argent, mais qui sont intéressés d’en apprendre sur leurs proches.
Quel est l’objectif du jeu FaÄmi ?
Gauthier : Le but est de poser des questions et simplement d’écouter les réponses. Il n’y a pas réellement de règles du jeu. On n'est pas obligé de poser toutes les questions, comme on n'est pas obligé de suivre un ordre précis. Par contre, si on veut un peu de challenge, on peut se dire que chaque joueur doit se souvenir a minima de deux réponses de chacun des autres joueurs. Et lorsqu’un joueur pense y parvenir, il crie “FaÄmi”, et les répète pour prouver qu’il a bien écouté ses partenaires de jeu.
Finalement, FaÄmi a aussi été pensé comme un outil d’échange ?
Gauthier : C'est exactement ça ! En présentant jeu, on m’a rapidement dit que FaÄmi pouvait être utile pour des personnes qui travaillent sur le contact et l'échange humain, comme les psychologues, les psychothérapeutes ou encore dans les Ehpad ou les services RH.
Comment avez-vous sélectionné les questions que l’on retrouve dans le jeu ?
Gauthier : Au fil de mon travail de biographe, je notais une question, par-ci par-là, que je trouvais intéressantes et qui avait du sens dans un certain contexte. J'en ai recensées beaucoup et j’en sélectionnées environ 200 réparties dans le jeu selon trois thèmes : souvenirs, imagine et partage. Ce ne sont pas forcément des questions philosophiques, mais des questions toutes simples que parfois, on peut se poser, mais qu'on oublie de demander. Des questions simples en apparence, mais qui peuvent devenir un peu plus profondes si on le souhaite.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la rédaction des questions ?
Gauthier : Il y a 192 questions. Pour la rédaction des questions, je me suis mis à la place de mes deux filles, qui ont 8 et 5 ans. Je me suis dit que si les questions plaisaient à un enfant qui apprend à lire, mais étaient aussi compréhensibles pour un enfant plus jeune à qui on les lit, c’était bon signe. Je me suis forcé à faire des questions un peu simples, pour éviter de devoir les réexpliquer. Je voulais vraiment le jeu en transmission intergénérationnelle, j'ai toujours imaginé une personne âgée poser les questions à un jeune et inversement. C'est ce que j'ai adoré dans la création du jeu, me mettre à la place de tout le monde. Je voulais que chacun puisse se transposer dans les questions. C’est aussi pour cela que j’ai évité la religion, qui est un sujet trop compliqué, trop clivant.
Combien de temps a demandé le développement du jeu ?
Je dirais que ça m’a pris une année pleine. L’idée de créer un jeu est venue assez rapidement à la création d’Écris ton histoire, donc il y a trois ou quatre ans. Mais la création du jeu et la rédaction des questions m’ont demandé un an à partir du moment où je m’y suis mis sérieusement.
Combien de personnes ont été impliquées dans le projet ?
Gauthier : FaÄmi est un projet Made in France qui a impliqué trois parties. L'imprimeur Reprocolor, situé dans le nord de la France, l'agence de com’ La Nageuse, et moi-même pour la création.
La Nageuse est justement créditée aux illustrations. Pouvez-vous nous en dire plus sur le travail effectué par cette agence ?
Gauthier : C’était l’agence qui a créé le logo Écrit ton histoire, mon entreprise. Ce sont eux qui ont notamment trouvé l’idée des petits yeux. Les yeux qu’on retrouve d’ailleurs dans les trémas du “A” présent dans le logo du jeu. Le “Ä” représente aussi deux personnes qui se rapprochent. Le tréma étant les deux petites têtes et le “A”, les corps des bonhommes. On a vraiment bossé main dans la main. Ils savent être à l'écoute et c'est hyper agréable de travailler avec une équipe qui n’est pas uniquement là pour te proposer ses idées.
Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez opté pour ce format type “voyage” ?
Gauthier : L'idée était de trouver un moyen de rendre accessible la transmission à tous, à travers des questions, des réponses, point barre. Et pour la rendre encore plus accessible, j’ai essayé d’en faire un jeu nomade, hyper facile à transporter. Pour cela, j’ai simplement repris les dimensions de mon téléphone. Comme ça, on peut l’emmener partout. Si on se pose une question chaque fois qu’on s’ennuie, on aura peut-être gagné quelque chose dans la journée.
Existe-t-il des différences entre le jeu que vous aviez imaginé et le produit fini ? Avez-vous dû faire des concessions au cours de la fabrication du jeu ?
Gauthier : Je pense que j'ai le produit tel que je l’avais imaginé. En travaillant sur le jeu, j'ai tout de suite pensé aux Incollables. Et heureusement, le format était tombé dans le domaine public. Je voulais cette fameuse attache permettant de faire un éventail avec les cartes, car c'est un souvenir fort de mon enfance. Et c'est hyper pratique pour éviter les cartes volantes qu'on finit par perdre ou faire tomber par terre. On peut y jouer partout et à la fin, on replie l’éventail et on le range facilement. Je ne voulais ni dé, ni pion, ni plateau, pour qu’il soit le plus simple à transporter.
La commercialisation est une étape cruciale dans la vie d’un jeu. Avez-vous rencontré des difficultés particulières à ce niveau ?
Gauthier : Pour moi, c'est la partie la plus difficile. Surtout par manque de temps. Ce n'est pas mon métier et je ne veux pas que ça vienne écraser mon métier premier. En même temps, je crois à ce jeu et à son efficacité. Je rêverai d'aller dix fois plus vite et de le diffuser jeu partout dans le monde. Mais grâce à mon expérience, j'ai appris à prendre le temps. Sans vous graisser la patte, ça a été un vrai choix de prendre Philibert et un réel soulagement. Par exemple, pour des questions d’éthique, je ne voulais pas mettre le jeu sur Amazon. J’adore l’idée que vous soyez une équipe française et que vous existiez depuis des années. Ça m’a énormément rassuré. D'ailleurs, même sans communication, j’ai enregistré ma première vente grâce à Philibert juste parce qu'une personne est allée sur votre plateforme et a découvert le jeu. Ça prouve que le choix de travailler avec vous est intéressant.
La commercialisation soulève un milliard de questions. Par exemple, pour la logistique, je voulais faire appel à Meeple Logistics, mais aujourd’hui, ce n’est pas possible en raison des coûts supplémentaires que ça engendrerait. Ce serait possible si je produisais le jeu en Chine. Si les ventes du jeu fonctionnent, il y aura de nouveaux choix à faire pour savoir comment bien distribuer le jeu et gagner suffisamment pour faire travailler tout le monde.
Je ne suis pas habitué à tout ça et j'apprends un peu en découvrant les choses au fur et à mesure. Heureusement que le jeu ne demande que de l'impression, même s’il y a un vérin. Je ne sais pas comment les autres font quand ils ont des pions, des plateaux, des pochettes, des cartes, de l'emballage, des boîtes, etc.
Peux-tu nous en dire plus sur ton prix de vente ?
Gauthier : Le jeu est vendu à 18,99 euros TTC. Je ne voulais pas un prix de vente trop élevé pour ne pas matraquer les acheteurs. Bien sûr, si je faisais du made in China, le coût de production serait moindre, mais c’est un choix que j’ai fait.
Quand on crée un jeu comme ça, il y a beaucoup de frais annexes. La gestion du code barre demande un abonnement auprès de GS1 France. Comme je suis en micro-entreprise, le jeu doit être déclaré auprès de l'URSSAF qui me prend 2,50€ par vente. Le prix coûtant du jeu, à savoir l’impression, revient 7,15€. Tout cumulé, le jeu me coûte 10€. À cela, s’ajoute encore les 17% de commission de la marketplace. Au final, je gagne 2,50€ par unité. Mais je me dis que c'est déjà ça, je suis dans l'action, j'ai fait quelque chose et je suis dans mon projet de transmission. Je pense que ça vaut le coup d'essayer.
Je pourrais réussir à le vendre par moi-même pour éviter les coûts de distribution, en le vendant sur des marchés ou sur mon site internet. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de solution. Si je veux faire plus de marge, il faudrait produire le jeu en masse, 2000, 3000, 4000 ou 5000 impressions, pour baisser les coûts, mais ça demande une sortie d'argent supplémentaire. Ce que je ne voulais pas faire pour le premier tirage.
Tout ça, c'est un cheminement et je préfère prendre le temps, y aller étape par étape, plutôt que de me brûler les ailes.
Quels sont vos objectifs en termes de ventes ?
Gauthier : J’ai imprimé FaÄmi à 500 exemplaires. L’idée est d'écouler ces 500 jeux et faire le point sur les choix faits et à faire. Par exemple, est-ce que je continue sur la marketplace ? Est-ce que je fais de la vente directe, de la vente e-commerce ? Est-ce que je paie une société pour gérer les stocks et les livraisons à ma place ? Etc.
Avez-vous en tête d’autres projets ludiques ?
Gauthier : J'ai pour ambition d'éditer une version de FaÄmi pour les mamans, une pour les papas, une pour les grands-parents et une autre pour les amoureux. L'idée est de continuer d’apprendre à se connaître à travers des questions très simples. C'est grisant, parce qu’il reste encore plein de choses à faire. Mais en même temps, c'est un peu frustrant parce que je dois attendre.