En février 2022, sortait Ephios, un jeu tactique et nerveux dans un univers politique dystopique, édité par le strasbourgeois Disto Studio. Pour en savoir plus sur Ephios, nous avons rencontré l’équipe qui se cache derrière cet intrigant projet. Qui est Disto Studio ? Quelle est la genèse du jeu ? Que raconte Ephios ? On lève le voile sur ce très beau jeu de cartes à travers cette interview croisée.
Quelques mots sur Ephios
Second jeu de Disto Studio, Ephios est un jeu de cartes de gestion dans lequel les joueurs manœuvrent leur ascension politique au sein de la cité-état d’Ephios. Alors que les alliances politiques ont volé en éclat, s’ouvre une ambitieuse course à la popularité qui débouchera sur une prise de pouvoir.
Retranscription de l’interview
Luc Anuszewski, l’éditeur
Peux-tu te présenter et nous dire quelques mots sur Disto Studio ?
Je suis Luc, éditeur chez Disto Studio. Nous sommes deux avec Marion. Strascendance, notre premier jeu était un peu confidentiel. C'était un jeu en noir et blanc avec un style graphique un peu particulier qui parlait d'une épidémie de danse ayant eu lieu à Strasbourg. C'était un jeu de plateau dans lequel les joueurs incarnaient des sortes de trouble-fêtes, des personnes qui voyaient une épidémie en train d'envahir la ville et qui essayaient de prendre le contrôle de la ville. Il faut imaginer que des gens qui dansent comme ça, c'est un peu le chaos. Le but était de prendre le contrôle de différents lieux de la ville et d’essayer d'empêcher les danseurs de venir sur son spot en les envoyant vers ses adversaires. C'était un peu chaotique, mais assez fun à faire. C'était vraiment de l'autoédition. Sur ce jeu, on était auteurs et illustrateurs. À l’origine, on est architectes. On jouait beaucoup et on avait envie de créer et illustrer un jeu. On avait ce thème-là qui avait quelque chose de très architectural. Une épidémie de dance est quelque chose qui envahit l'espace urbain. Donc, il y avait l’idée de trouver un moyen de représenter la ville à travers le jeu. On a donc développé ce projet. On a beaucoup aimé et on s'est rendus compte que ce qu'on aimait le plus était la partie éditoriale sur la conception. Alors on a poursuivi l'aventure avec un second jeu.
Quelle est votre ligne éditoriale ?
Avec Disto Studio, l'idée est d’éditer des jeux distordus. C’est ça notre ligne éditoriale. On veut des jeux insolites avec des univers qui tranchent et des mécaniques soignées. On veut vraiment qu'il y ait des partis pris graphiques qu'on ne voit pas souvent. On nous demande souvent en convention ce qu’on entend par “jeux distordus”. On prend des risques éditoriaux parce que c'est ce qui nous fait kiffer. C’est le genre de produits qu'on aimerait voir plus souvent. Mais on reste quand même sur des jeux accessibles. On n'est pas sur des gros jeux experts. Ça va être du “familial plus” pour joueurs avertis.
Est-ce que vous avez d’autres sorties prochainement ?
En ce moment, on travaille sur plusieurs prototypes. Des protos d’autres auteurs essentiellement, mais aussi les nôtres. Bon, on n'est pas forcément hyper friands de l'autoédition, parce que c’est un truc dont on aimerait un peu se détacher. Mais on a quand même un proto à nous en réserve sur lequel on bosse sur notre temps libre. Sinon, on travaille avec d'autres auteurs, mais ce sont encore des projets en développement, donc pour l'instant, je ne peux pas en dire trop. Mais ça évolue.
WaDri, l’auteur
Peux-tu te présenter ?
Je m'appelle WaDri, je suis auteur de société depuis peu. Ephios est mon premier jeu. Et je suis aussi animateur de jeux de société, au Philibar entre autres, où j’anime des événements pour différents éditeurs.
J'ai tendance à dire que je suis joueur, animateur et auteur de deux sociétés. Je joue aux jeux de société depuis plus de 15 ans maintenant. J'ai commencé très jeune et c'est quelque chose qui m'a toujours suivi. Il y a 10 ou 12 ans, avec le retour du jeu moderne, je suis reparti dans le milieu du jeu de société et ça m'a vraiment beaucoup plu.
Comment en es-tu arrivé à créer des jeux ?
Je crois que le déclic a été 7 Wonders. Quand j'ai vu qu'il y avait un nom d'auteur sur la boîte, j'ai commencé à m'intéresser à ce qu'il y avait derrière. Je me suis rendu compte que les jeux de société n’étaient pas juste des boîtes industrielles dans des magasins de jouets. Et qu’il y avait des gens qui les créaient. Ça avait l'air d'être un métier vachement cool et je me suis dit : “mais oui, pourquoi pas.” Je me suis souvenu que quand j'étais gamin j'adorais écrire des petits jeux. J'ai retrouvé mes anciens protos faits quand j'avais 10 ou 15 ans. Des petits trucs tout bêtes. Et j’ai décidé de m’y mettre sérieusement.
C’est assez marrant, parce que quand j'ai commencé, l'idée était de créer des jeux pour essayer d'en vivre. Je me disais que ça pouvait être un métier super cool. Mais j’ai rapidement vu que c'était très compliqué de pouvoir en vivre, voire pas du tout possible dans l'état actuel des choses. Et c’est quand j'ai arrêté de vouloir en vivre que je me suis rendu compte que ce dont j’avais vraiment envie était de faire un jeu et pas simple de créer un truc pour en vivre. Avec Ephios, je suis allé au bout de ce process. C'était un peu le défi d'aller jusqu'au bout de la création ludique.
Comment est née la relation avec Disto Studio ?
Dans ma démarche de création, je trouvais important de faire quelque chose de local. J’ai donc contacté des éditeurs du coin. Je suis arrivé avec mon proto et avec une histoire aussi. Parce qu’avec Ephios, c'est une histoire que je raconte via un jeu de société. Et je crois qu'ils ont vraiment adoré tout ça. Humainement parlant, ça matchait bien. Ce sont des gens juste adorables. Et voilà, on a commencé cette aventure tous les trois.
Peux-tu nous parler d’Ephios ?
Ephios est une histoire. L’histoire de l'île cité-état d’Ephios, qui est en pleine crise puisque les grandes alliances de l’île sont en train de se mettre sur la tête. Notre rôle est de prendre la place de l’ancien Haut-Gouverneur qui n'a pas réussi à faire passer la crise. Pour ce faire, il faut unir les alliances. Pour cela, c’est relativement simple, si j'ai deux cartes de la même couleur dans la main, je vais tout simplement gagner en popularité. C'est une course aux points. Le premier à atteindre ou à dépasser 70 % de popularité remporte la partie.
Dans Ephios, il y a différents modes de jeu. Peux-tu nous en dire plus ?
On a rapidement développé un mode campagne. En enchaînant les parties, on s'est aperçu qu’elles duraient entre 15 à 20 minutes et on voulait une évolution thématique et rester dans cet aspect politique. Le mode campagne était quelque chose d’évident et va induire des changements en termes du paquet de personnages. Par exemple, il y a 110 combinaisons de personnages uniques et 1200 branches d'histoire différentes.
Il y a aussi le mode solo qu'on a développé à force de faire des tournées dans les bars à jeux. Dans le train, en jouant à mon jeu de mon côté, je me suis retrouvé à écrire ce mode solo. À la base, c'était juste pour faire passer le temps. Et puis, j’ai vu que ça marchait bien. Je l’ai fait tester à mon frangin qui a tout de suite aimé. Le mode solo s’apparente un peu à un casse-tête. Au début, on galérait. On pensait que c’était trop dur et que ça ne marcherait jamais. Et quand on a commencé à gagner, on s’est dit que c’était effectivement trop dur, mais assez dur pour que ça devienne intéressant. Quand on a vu qu'on pouvait gagner, je l’ai proposé à Disto Studio.
Est-ce que tu en as fini avec l’aventure d’Ephios ?
Comme je l’ai dit, l’idée était de raconter une histoire. Quand j'ai commencé à travailler avec Quentin, nos univers se sont retrouvés à s’affiner l'un et l'autre. Il a été le moteur au développement de l'image finale d’Ephios. C’est un univers avec beaucoup d'histoires à raconter dedans. Je ne sais pas encore sous quelles formes. J’aimerais bien que ça continue sous des formes ludiques. Avec Ephios, les gens prennent part à une histoire. Ils vivent quelque chose qui est plus grand qu'eux et qui les dépasse un peu. Par ses graphismes et ses personnages, Quentin a énormément contribué à la caractérisation de l’univers. Moi, j'ai juste écrit un peu les synopsis et les grandes lignes. Ce sont les joueurs qui écrivent l'histoire. Il y aura peut-être d'autres histoires dans lesquels ils pourront s'intégrer. Je le souhaite en tout cas.
As-tu d’autres projets ?
J’ai 4 ou 5 proto sur lesquels je travaille en ce moment et que j'ai envie de développer. Là, je me consacre à 100% à Ephios le temps que ça sorte. Le temps aussi de voir la finalité de tout ça. Je dis finalité, mais c'est le début de l'histoire, en fait.
À côté de ça, je continue d'être animateur de jeu. C'est un truc qui me plaît toujours autant. J’aime être au contact du public ludique. Surtout qu’il nous avait manqué ces derniers temps.
Je fais aussi parti d’un proto club, un club de prototypes, avec différents auteurs amateurs ou professionnels du coin. On essaie de se retrouver pour discuter de jeux de société et de se motiver les uns et les autres. Le but est de nous encourager à créer, mais pas forcément avec une finalité d'édition.
Des remerciements ?
J’aimerais remercier tout particulièrement Sophie qui se cache derrière Ephios et qui m'a aidé depuis le début. Un grand merci à toute ma famille et à tous les bêta testeurs. Le jeu de société n’est pas quelque chose qu’on fait seul dans son coin. On le fait à plusieurs. Je remercie aussi tous les joueurs et joueuses, les éditeurs et les autres auteurs qui m'ont donné des astuces et toutes les personnes que j'ai croisées qui m'ont donné un petit coup de main. Je pense qu’il n’y aurait pas assez de place sur la boîte pour mettre le nom de toutes les personnes qui ont participé à la création d’Ephios.
Quentin Hell, l’illustrateur
Peux-tu te présenter ?
Moi, c’est Quentin Hell, je suis illustrateur sur le jeu Ephios, le jeu créé par Cyril WaDri et édité par Disto Studio. C'est mon premier jeu qui sort dans le commerce. Je fais des illustrations depuis un moment déjà. Je suis professionnel depuis 2019. J’ai fait un peu de bande dessinée et surtout des illustrations personnelles. J’ai travaillé un peu pour le jeu vidéo, pour des jeux indés qu'ils sont sur Steam.
Est-ce que tu étais déjà familier au monde du jeu du société ?
Je connaissais très peu le monde du jeu de société avant Ephios. C'est en rencontrant Disto et WaDri que j'ai commencé à jouer. Ils m'ont montré des choses qui leur plaisaient. J'ai aussi appris un peu pendant le développement d’Ephios parce qu'on faisait beaucoup de parties test. J'ai pu aussi donner mon avis sur le gameplay et des choses comme ça. C'était assez intéressant.
Quelle différence y a-t-il entre ton travail sur Ephios et tes précédents projets ?
Pour le jeu vidéo, j'ai fait des Key Arts, qui sont des illustrations classiques. Pour Ephios, c'était plus du character design parce qu'il y avait très peu de fond. On retrouve du fond coloré très minimaliste. L'accent est mis sur les personnages. Personnellement, j’adore faire du design de personnages. Donc, on s’est plutôt bien trouvés. J’adore ça. Par exemple, les card design japonais pour les jeux de baston ou ce genre de chose. C’est quelque chose qui m'a beaucoup influencé. Ça m’a permis de réussir à faire des personnages très caractérisés par leur look.
Comment tu t’y es pris pour réaliser ce travail ?
Je leur ai demandé un layout des cartes avec la zone où il y avait le texte et l'endroit où était le cadre. Comme ça, je pouvais le caler pendant que je faisais mes croquis pour savoir où seraient les informations importantes et ce qui serait coupée dans l'image.
Comment s’est passée la collaboration avec l’auteur ?
Cyril est arrivé avec son projet et au début, on était plus parti sur un univers dans les années 50-60, détective, mais avec des touches de technologie. J'avais commencé à travailler sur ce thème-là et au bout d'un moment, on s'est dit qu’on allait plutôt partir sur quelque chose de plus cyberpunk ou science-fiction. Je me souviens d’une réunion avec Cyril au cours de laquelle on a passé en revue tous les personnages et où j'ai pu apporter des idées pour leur design, mais aussi pour leur lore, c’est-à-dire, tout ce qui leur était arrivé dans leur vie et la manière dont fonctionne les choses entre les alliances. Et on s’est plutôt bien trouvés avec Cyril, puisqu’on était d’accord sur beaucoup de choses. On a pu vraiment développer le truc tous les deux, mais le gros du travail, c'est quand même lui qui l’a fait. De base, se sont quand même ces idées à lui. Moi, je suis juste venu ajouter mon petit grain de sel.
C’était une manière de développer un univers que je ne connaissais pas du tout. Je connaissais plus l'animation ou le jeu vidéo, des choses traditionnellement narratives. Le jeu est une façon de raconter différente. C’est intéressant d’avoir un jeu comme Ephios, qui a un lore assez fort, expliqué dans le livret de règles, mais qui laisse beaucoup de place à l'imagination du joueur.
Sur Ulule, on a également sorti un artbook narratif pour pouvoir explorer encore un peu plus ce qui se passe dans cette ville. Achetez Ephios, j'espère que ça vous plaira !
Pour en savoir plus sur les jeux de l'éditeur, rendez-vous sur le site de Disto Studio.