Arrêtons de suivre le flux incessant des nouveautés le temps d'un instant et regardons ensemble dans le rétroviseur. Dans cette série d'articles, nous allons vous faire (re)découvrir le charme des vieux jeux récompensés au Spiel des Jahres entre 1979 et 2000.
Allez, on souffle sur ce couvercle recouvert de poussière, et on ouvre Heimlich & Co.
Remarques préliminaires
L’auteur du jeu, Wolfgang Kramer, sera plus largement connu quelques années plus tard pour ses célèbres 6 qui prend, Tikal, Verlixxt (ToucanDoIt) ou encore El Grande. Miam Miam, que des succulents jeux !
En déboitant Heimlich & Co, une première chose me surprend. Cette grande boîte accueille un grand plateau et des « espions » en bois surdimensionnés. Chaque bonhomme en bois fait la taille d’une paume de main. Ils sont juste énormes sans aucune raison. Ce genre de folie était possible dans les années 80, quand l’industrie ne comptait pas chaque centime. Aujourd’hui, vous auriez sans doute droit à des mini-meeples. Ici, on est dans le palpable et l’intemporel.
Heimlich & Co, c'est quoi ?
Heimlich & Co est un jeu de plateau de bluff et de déduction. Chaque joueur incarne un espion secret d’une couleur qu’il est le seul à connaître.
À son tour de jeu, chaque joueur lance un dé et déplace n'importe quel pion espion (pas forcément le sien). Lorsqu’un pion espion arrive sur le coffre-fort, on fait une pause dans le jeu.
Chaque pion de couleur avance sur la piste des scores en fonction de sa position. Certains bâtiments font gagner entre 1 et 10 points, et d’autres font perdre des points.
Puis on déplace le coffre-fort sur une nouvelle case, et la partie continue jusqu’à ce qu’un autre espion se déplace à nouveau dessus. On fait un décompte, et ça continue ainsi de suite.
Le récit de notre partie
C’est brillant de simplicité !
À notre table, l’atmosphère est électrique. Les regards se croisent et les premières théories fusent. Je commence à soupçonner Sébastien. Ce gars-là, toujours à l’air innocent, vient de déplacer l’espion bleu hors d’un bâtiment qui coûtait 3 points négatifs. Étrange, non ? Il doit être bleu, c’est sûr...
Juste à ce moment, Julie bouge aussi le pion bleu en l’envoyant dans un bâtiment valant 8 points. Mais que mijote-t-elle ? ***Grrr cornegidouille !** le bleu serait donc à elle ? Argh, mon cerveau commence à surchauffer.
Pendant ce temps Alexis lance le dé, avec son petit sourire en coin. Il ignore complètement la bataille psychologique autour du pion bleu et propulse le pion jaune sur le coffre-fort.
Pause dans la partie. Tout le monde retient son souffle. Les scores s’actualisent : le pion bleu cartonne, le jaune fait un bond en avant, et... mon pauvre violet est à la traîne, un agent triple zéro ^^
Est-ce juste moi qui me noie dans mes théories absurdes ? Ce sentiment bien connu du : « je sais qu’il sait, que je sais, qu’il pense que je suis le violet » me paralyse. Cette partie me rend complètement parano.
BAM ! Une couleur atteint 29 points. Le moment tant attendu arrive : l’heure de l’accusation. Chacun de nous s’empare d’un bout de papier. Qui contrôle quel espion ? Les théories jaillissent. Ces soupçons seront indélébiles jusqu’à la fin de partie. Je gribouille fébrilement ma liste :
29 points, c’est un tournant. J’ai surjoué la confusion, bluffé un max, j’espère maintenant que mes prédictions seront les meilleures en fin de la partie. Je m’accroche à ce bout de papier comme à un gilet de sauvetage. Chaque bonne réponse me rapportera 5 points à la fin.
Et voilà que le score grimpe à 42 points : fin du jeu !
La table retient son souffle. Les pions sont figés, les regards sont tendus, et l’heure de vérité sonne. Chacun dévoile sa liste secrète. L’explosion de rires et de protestations est immédiate.
« Quoi ?! Julie était le bleu ?! » Je la vois ricanant, triomphante.
« Attends, alors Sébastien, t’étais quoi ?! Le jaune, évidemment. Je n’ai rien vu venir ! »
Mon enquêteur intérieur s’indigne. Non seulement je m’étais fourvoyé sur toute la ligne, mais mon pauvre violet termine en bas de la piste de score. Je me suis fait balader comme un amateur.
Les éclats de rire fusent. Ce n’était pas seulement un jeu : c’était une aventure où chacun a tenté de manipuler les autres avec style. La partie n’a duré que 20 minutes, mais l’intensité en a fait une véritable épopée. Enthousiastes et un peu revanchards, nous avons immédiatement relancé une nouvelle partie.
Parce que dans Heimlich & Co, la seule chose meilleure que de gagner... c’est de tromper tout le monde !