CHAMP D’HONNEUR, VICTOIRE GLORIEUSE OU DÉFAITE IGNOMINIEUSE ?
Champ d’honneur est l’un des plus beaux jeux de 2019, une année particulièrement fertile en productions magnifiques où son abstraction lui permet de tirer son épingle du jeu, de ne pas se frotter trop directement à une Forêt des frères Grimm par exemple. Il trouve ainsi parfaitement sa place chez Gigamic, éditeur déjà réputé pour sa collection de jeux abstraits en bois (Squadro, Quoridor), qui localise judicieusement la merveille éditoriale d’AEG. Si le jeu fait si forte impression, c’est en effet déjà qu’il se présente dans un coffret métallique, dont on n’ouvre le rabat que pour mieux s’émerveiller des sacs de velours vert brodés d’or et des presque 80 jetons de Poker servant d’unités.
Cette abstraction est ainsi avant tout le résultat d’une direction artistique audacieuse, qui aurait tout à fait pu opter pour une approche bien plus thématisée. Au fond, la manipulation de 8 à 12 types d’unités, disposant chacune de sa capacité particulière, sur un champ de bataille où ils doivent s’affronter et prendre le contrôle de lieux tactiques aurait pu être conçue avec force illustrations et figurines, d’autant que le jeu revendique une situation médiévalisante et propose même de nous faire revivre trois batailles emblématiques de l’Antiquité et du Moyen Âge. Prendre un projet aussi fortement thématisé et en retirer autant que possible la surface afin de la remplacer par une élégance plus universelle tient du tour de force, un défi superbement réussi.
Au lieu de chercher à rivaliser avec un Zombicide, Champ d’honneur se place ainsi dans la continuité des Échecs, affirmant son accessibilité, son intérêt même pour des joueurs relativement néophytes, alors qu’il s’avère tactiquement assez riche et très varié. C’est qu’il met à disposition 16 types d’unité distincts, que l’on peut s’attribuer plus ou moins aléatoirement, dans des armées en comptant 3 ou 4 différentes. Il s’agira alors de réfléchir très différemment selon la combinaison d’unités que l’on contrôle et dont il faut optimiser la synergie, et la combinaison à laquelle on s’oppose, dont il faut tâcher de saisir la logique afin de la bloquer. Difficile de ne pas penser à Res Arcana (toutes proportions gardées bien sûr) dans cette construction assez fantastique de combos quelque base dont on dispose.
Le jeu est en outre extrêmement intuitif, tellement qu’il paraît impossible d’oublier l’une des 9 actions générales, alors même que ce chiffre pourrait légitimement effrayer de prime abord. On se surprendra au contraire à retourner aussi peu au carnet de règles – à vrai dire plus du tout après un ou deux tours à peine – tant elles sont simplement logiques. On n’en plonge que plus facilement dans la tension passionnante de Champ d’honneur, l’hésitation terrible entre le renforcement d’une unité afin de la protéger ou la conservation du jeton dans son sac afin de la faire agir davantage ; entre une spécialisation permettant d’exploiter tout le potentiel d’une unité ou une amélioration générale plus lente permettant de mieux occuper le terrain.
En plus d’être l’un des plus beaux jeux de 2019, Champ d’honneur m’en paraît ainsi être le meilleur jeu de duel avec Cairn, offrant un merveilleux plaisir de contemplation, de manipulation et de réflexion.
L'intégralité de l'analyse de Champ d'honneur est lisible sur VonGuru : https://vonguru.fr/2020/04/27/champ-dhonneur-lautre-plus-beau-jeu-de-2019-et-lun-des-meilleurs/